Dans le secret des monastères français, des religieuses confectionnent au quotidien des hosties de messe destinées aux églises de France. Retour sur l’histoire de ce pain azyme rond fait de farine et d’eau, qui illustre au mieux la dimension symbolique du pain dans la religion chrétienne.

 

Derrière les murs de l’abbaye Notre-Dame de Bon-Secours, à Blauvac (Vaucluse), une tradition est perpétuée depuis plus de cent ans. Dans le secret de leur atelier, les sœurs cisterciennes marient au quotidien farine et eau pour confectionner des hosties qui serviront lors des offices religieux à travers la France. Leur production est considérable : en 2019, 20 millions de ces petites rondelles de pain azyme (sans levain) ont été fabriquées par leurs soins, faisant du monastère le premier producteur du pays.

Pour mener à bien cette activité, chacune des religieuses a dû découvrir la farine et ses propriétés, apprendre des gestes, mémoriser les différentes étapes de la préparation de la pâte, de sa cuisson et de la découpe. « C’est une transmission qui a lieu de génération en génération », explique sœur Marie-Samuel. Elle-même a été initiée voici dix-sept ans à cet « exercice difficile » : « le dosage entre farine et eau est très important. Et la pâte doit faire l’objet d’une grande attention : il s’agit d’une matière vivante ».

Pour s’assurer de la qualité des hosties de messe, le monastère travaille en étroite relation avec son meunier, implanté dans la Drôme voisine. « Tout se fait en circuit court, de la culture des blés à la production d’hosties, explique sœur Marie-Samuel. Et les échanges sont permanents : notre minotier nous rend régulièrement visite à l’atelier afin de vérifier que sa farine de froment corresponde bien à nos attentes ». 

 

100 millions d’hosties produites en France chaque année

 

Les sœurs de l’abbaye de Blauvac ne sont pas les seules religieuses à confectionner des hosties en France. A travers l’Hexagone, près de 30 monastères se consacrent à cette activité, comme l’abbaye Sainte-Croix de Poitiers dans la Vienne ou celle des clarisses de Cormontreuil, dans la Marne. Une activité essentielle pour ces communautés chrétiennes sur un plan économique (les hosties sont vendues aux prêtres, aux institutions religieuses…), et qui leur permet de se conformer à la règle de saint Benoît :

Ils seront vraiment moines lorsqu’ils vivront du travail de leurs mains.

La production d’hosties est depuis de nombreuses années orientée à la baisse en France. En cause : le recul de la pratique religieuse mais aussi une concurrence étrangère de plus en plus agressive. L’épidémie de Covid-19 et les nombreuses restrictions concernant les offices n’a fait qu’accentuer la tendance en 2020. Pour autant, l’ensemble de ces ateliers assurent encore, en temps normal, la fabrication d’environ 100 millions d’hosties par an (103 millions en 2016, selon sœur Marie-Samuel). Ils perpétuent ainsi une activité pluriséculaire : c’est depuis le VIIIe ou le IXe siècle que des religieux confectionnent en France ces pains servant lors de l’eucharistie. Auparavant, les chrétiens apportaient généralement eux-mêmes le pain qui allait être utilisé lors de la messe.

 

Et le pain azyme s’imposa en Occident

 

Cette évolution des pratiques s’est alors doublée d’un changement de la nature du pain lui-même. Au pain fermenté des croyants a succédé progressivement le pain azyme des religieux. Pourquoi un tel choix ? Plusieurs hypothèses ont été avancées. L’une d’elle est de nature théologique. L’Eglise aurait ainsi souhaité utiliser le même pain que Jésus lors de son dernier repas (au cours duquel il partage et donne le pain à ses disciples, initiant le sacrement de l’eucharistie). Plusieurs évangiles considèrent en effet la Cène comme un repas de la pâque juive. Un temps où, justement, le pain consommé est azyme, en souvenir de la fuite des Hébreux hors d’Egypte – lors de laquelle ces derniers avaient emporté du pain non fermenté.

 

Hostie d'église - Vitrail la Cene

Vitrail d'église - Dernier repas de Jésus - Crédit photo Pixabay par stux

 

Cette distinction dans la nature des pains aura d’ailleurs, au fil des siècles, une importance considérable dans le monde religieux. Elle va faire partie des motifs principaux de rupture de l’unité chrétienne au Moyen Age, entre les Eglises romaines (catholiques) et byzantines (orthodoxes). Alors que les premières estimaient, comme on l’a vu, que c’est un pain sans levain qui devait être présenté lors de l’eucharistie, les secondes le refuseront, lui préférant un pain levé. Des positions irréconciliables qui seront, entre autres, à l’origine du schisme d’Orient, en 1054.

 

La place centrale de l'hostie et du pain dans la religion chrétienne

 

Une différence qui se retrouve encore aujourd’hui lors des cérémonies religieuses. Dans le monde orthodoxe, la plupart des célébrations se font avec des pains fermentés. L'Eglise catholique, elle, est restée fidèle aux petites rondelles de pain azyme que sont les hosties.

Cette querelle théologique illustre au mieux la portée symbolique du pain. Un pain qui occupe ainsi une place centrale dans la religion chrétienne, et bien sûr, dans la foi portée par les femmes et hommes d’Eglise. Il suffit d’écouter sœur Marie-Samuel pour s’en convaincre, expliquant que la production d’hostie n’est pas un « travail comme les autres ». Il s’agit avant tout d’ « une grande joie » pour la religieuse, qui s’enthousiasme, chaque jour, de « fabriquer le pain qui va devenir le corps du Christ ».

 

 

 

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