Suivre Laurent Bayart à vélo, c'est l'assurance de plonger dans les trésors paysagers des campagnes alsaciennes et découvrir ce qu'ils nous disent d'un territoire, de ses hommes, de son histoire.

L'écrivain-cycliste a l'imagination fertile autant que le coup de pédale facile. Une ligne d'horizon, un petit vallon... Et voici des champs de blé qui sont pour lui « la promesse d'un pain bien croustillant ». Derrière les épis, il devine déjà « une boulangerie géante à la devanture d'or ». Il l'avoue : il se « régale des paysages [qu'il] traverse, navigateur à pédale à l’affût de cette nature domestiquée ». Avec lui, les participants du Voyage dans l'imaginaire des céréales organisé fin mai, à Strasbourg, ont fait une belle virée au cœur de la campagne alsacienne. Ce faisant, ils ont découvert combien les étendues céréalières constituaient des marqueurs forts du monde rural de la région et, plus encore, des éléments incontournables de son patrimoine.

Ce patrimoine alsacien, justement, a constitué le fil rouge de cette soirée, l'ensemble des intervenants se faisant fort de démontrer combien les céréales et produits céréaliers y avaient pris toute leur place au fil des siècles. C'est notamment le cas dans l'architecture, comme s'est attaché à le rappeler Alexandre Burtard, cofondateur de la Manufacture du patrimoine. « La culture céréalière est omniprésente en Alsace », a-t-il rappelé. En témoigne notamment ces halles au blé qui ont marqué l'histoire de nombreuses villes : Haguenau, Obernai, Ribeauvillé... Elles ont longtemps constitué des lieux de stockage mais aussi d'échanges et de commerce. Des grands moulins verront également le jour, leurs spécificités architecturales s'imposant au-delà de la seule Alsace : à Pantin, au début du XXe siècle, c'est dans le « style alsacien » que seront édifiés les célèbres grands moulins aux portes de Paris.

Trois soleils dans un bretzel
C'est également au cœur du patrimoine culinaire que les céréales vont s'imposer.  La popularité des bretzels auprès des touristes en est la meilleure des démonstrations. Ils représentent, dans l'imaginaire collectif, l'un des éléments les plus évocateurs de l'Alsace. Preuve de leur ancrage dans l'histoire locale, ils ont même... leur légende. C'est celle, au Moyen-Age, d'un boulanger qui avait été emprisonné par son seigneur et devait se faire exécuter. Mais le seigneur réfléchit : le temps maussade annonçait une mauvaise récolte. Alors, se priver, en plus, du savoir-faire du boulanger... « Il lui annonça qu'il le gracierait s'il était en mesure de faire apparaître trois soleils », explique Francis Maurer, boulanger et président de la corporation des boulangers de Strasbourg. Le boulanger confectionna alors un bretzel. « Regardez le soleil à travers, vous y verrez trois beaux soleils… », conclut-il.

La bière constitue un autre pan incontournable du patrimoine alsacien. Sa fabrication témoigne également d'un savoir-faire et d'une passion portés par des brasseurs, gardiens de cette tradition. Parmi eux, Eric Trossat, établi à Uberach et président des Brasseurs d'Alsace. Il a rappelé lors du Voyage dans l'imaginaire combien, dans le processus de préparation des bières, le choix du malt avait un rôle clé. Plus ou moins grillé, c'est lui qui va en effet déterminer la future identité aromatique du breuvage (mais également sa couleur).

« Nous n'avons pour limite que notre imagination ! »
Mais s'il est le fruit d'une riche histoire, le patrimoine est également une matière vivante, en évolution et en construction permanente. Il n'est qu'à voir la table de Guillaume Scheer pour s'en persuader. Le chef exécutif du restaurant gastronomique 1741, à Strasbourg, travaille au quotidien ces céréales dont on a vu qu'elles s'inscrivaient pleinement dans la tradition culinaire alsacienne. Mais il cherche, dans le même temps, à les revisiter pour donner à goûter de nouvelles créations. « Elles ont une place très importante dans la cuisine », confirme-t-il. Et le potentiel créatif apparaît, à ses yeux, considérable : « Nous n'avons pour limite que notre imagination ! »

Bonheur à être en cuisine, « bonheur à être dans le pré ». De l'assiette aux champs, il n'y a qu'un pas et une même passion pour les céréales. C'est celle de Christian Schneider, agriculteur et délégué Passion Céréales en Alsace, qui évoque avec envie ce « bonheur » au quotidien. Il est aux avants-postes pour perpétuer la tradition agricole régionale, autre pan incontournable du patrimoine alsacien. On est là à la source-même de nombre de produits emblématiques (bretzel, kouglof, spaetzle, bière...).  Alors, à la tête de la ferme familiale où il a développé la production de céréales, il prend le plus grand soin de ses cultures. « Pour faire pousser une belle orge, il faut beaucoup d'attention », explique-t-il. Une attention apportée collectivement par « la communauté agricole », qu'il dit avoir « plaisir à côtoyer ». Non sans préciser son rôle incontournable au sein de la société : « Cette communauté, c'est celle qui [nous] donne à manger tous les jours ».