Il se souvient avec délice des galettes de sarrasin que lui faisait sa grand-mère. Elles étaient accompagnées de lait ribot, un lait fermenté. Bien des années plus tard, alors que Jean-Marie Baudic travaillait chez Pierre Gagnaire, il découvrit que ce grand nom de la gastronomie ajoutait de la crème à sa polenta, créant ainsi un « mélange aérien » du plus bel effet.

Il y eut bien d'autres étapes dans son parcours initiatique pour parvenir, au final, à répondre à une question : pourquoi mariait-on si fréquemment les céréales avec un soupçon de matière grasse ? « Tout simplement parce que ça marche ! », s'exclame-t-il aujourd'hui. L'alchimie ainsi accomplie a donné envie au chef étoilé de travailler à son tour les céréales et les mariages merveilleux qu'elles pouvaient engendrer.

Les spécialistes des céréales vous le confirmeront : tout comprendre, tout savoir du blé, de l'orge ou du maïs est le fruit d'un long cheminement. Un cheminement, une quête même, qu'entreprennent avec gourmandise des passionnés, désireux de connaître la vérité sur ces plantes aux multiples secrets. Plusieurs d'entre eux étaient réunis, fin novembre, à Rennes, à l'occasion d'un Voyage dans l'imaginaire des céréales.

Organisé par Passion Céréales, l'événement a permis aux spectateurs de mettre leurs pas dans ceux des intervenants. Ils ont ainsi suivi l'aventure menée par deux jeunes ingénieurs agronomes qui ont décidé d' « aller à la rencontre des personnes qui se trouvent derrière les recettes et les produits » de plusieurs régions. A travers leur projet « Histoire(s) de charrues et d'assiettes » (histoiresdecharruesetdassiettes.fr), Marie Breton et Agathe Lang mettent à l'honneur, en rédigeant leur portrait, ceux qui réalisent l'indispensable étape de la transformation et préservent ainsi les patrimoines culinaires. Elles sont revenues sur une rencontre : celle avec Robert, paysan-boulanger dans le sud du Finistère. Avec lui, elles ont pu comprendre les différentes étapes de la fabrication du pain mais aussi combien la passion pouvait être un puissant moteur pour ceux qui travaillent au quotidien le fruit des céréales.

« Partager l'amour du bon pain »

Christian Tacquard est un autre passionné, fier de sa « croustillante aventure ». Le président de Gavottes et Traou Mad a d'abord exercé plusieurs métiers, notamment à des fonctions commerciales, avant de devenir industriel. C'est en visitant la fabrique de crêpes dentelles Gavotte, à Dinan (Côtes d'Armor), qu'il a un véritable coup de foudre pour le secteur. C'est cette voie, celle des produits céréaliers, qu'il souhaite emprunter ! Il rachète l'usine en 1990 avant de développer progressivement un groupe dans le secteur de la biscuiterie, Galapagos. Il fait aujourd'hui connaître les saveurs des spécialités bretonnes à travers le monde.

L'univers céréalier, Jacques-Antoine Brochet l'a pour sa part découvert dès sa plus tendre enfance. Cela fait en effet cinq générations que sa famille « veille au grain et partager l'amour du bon pain ». Dans sa jeunesse, l'actuel président-directeur général des moulins Brochet a donc pu réaliser ce lent travail « d'observation » essentielà la bonne compréhension du secteur. Il garde en lui le souvenir des multiples machines et outils qui étaient indispensables pour réaliser la farine. « J'étais impressionné par l'énergie nécessaire pour faire tourner le moulin. Le moteur et le bruit considérable qu'il faisait provoquaient en moi un effet magique ! »

Le souvenir de la saison des moissons

Il faut également remonter quelques années en arrière pour comprendre la passion de Freddy Thiburce pour les céréales. Si le cofondateur et directeur général du Centre culinaire contemporain de Rennes parle aujourd'hui avec délectation des saveurs mélangées du beurre et du pain, c'est un peu parce que, depuis son enfance, il a appris à connaître et à aimer l'univers céréalier. Cette découverte progressive  s'est notamment faite dans la cuisine familiale où étaient confectionnés des desserts délicieux (notamment les tourtisseaux vendéens) et où le jeune Freddy avait parfois le droit de « mettre la main à la pâte. » Et puis il y avait aussi la saison des moissons. Il passait une partie de ses vacances à la ferme et se souvient de l'ambiance fraternelle qui régnait alors, ces longues journées dédiées au blé où il fallait « se lever tôt le matin, et veiller tard le soir ».

C'est justement cette période des récoltes qui a également marqué profondément Jean-Yves Tessier. Aujourd'hui agriculteur, le délégué de Passion Céréales en Bretagne a rappelé combien son enfance au plus près des champs de céréales avait compté dans ses choix professionnels. « Je suis héritier du gène de la nature, ajoute-t-il. A 4 ans, je suivais mon père aux champs, et à 10 ans, j'ai commencé à participer aux battages, un moment de convivialité unique ! Durant mon enfance, j'ai donc observé ce monde avec passion ! » Une découverte progressive qui l'a marqué à vie, et qui expliquera son retour à la ferme familiale à 28 ans, après une première expérience professionnelle, pour prendre la suite de son père.

Tout en conservant son ancrage territorial, Jean-Yves Tessier a aujourd'hui élargi son horizon. Depuis une dizaine d'années, il a ainsi noué des liens étroits avec Madagascar. Il œuvre, au quotidien, au développement d'une ferme-école sur l'île. Manière pour lui de transmettre ces connaissances qu'il a patiemment apprises sur l'univers céréalier mais aussi, sans aucun doute, un peu de son amour inconditionnel de la terre.