Connaître son moulin est une histoire d'oreille. Une histoire d'oreille qu'a apprise, au fil des ans, Thierry Dubois, meunier à Dommartin. « Chaque moulin a ses particularités sonores, il faut toujours être à l'affût d'un bruit, explique-t-il. C'est à l'oreille qu'on le surveille. »

Aujourd'hui, l'univers sonore de son moulin n'a plus de secret pour lui. Notre producteur de farine sait déceler la moindre problématique à l'écoute.

Raconter son « imaginaire des céréales », ce voyage offert par un épi de blé, une farine, un gâteau, c'est bien souvent s'en référer aux sensations qu'ils procurent, aux sens qu'ils mettent en éveil. Les intervenants de la soirée organisée à Dijon en décembre par Passion Céréales en ont donné la parfaite démonstration.

Thierry Dubois donne à entendre son moulin lorsqu'il en parle avec passion. Mais il évoque aussi ce que son odorat lui inspire quand il se trouve sur son lieu de travail. « Ce mélange d'odeurs de blé, de farine, de bois », précise-t-il. Après la signature sonore, la signature olfactive.

Une signature que connaît bien également Sylvie Bonnard, responsable de production chez Mulot et Petitjean, institution dijonnaise spécialisée dans le pain d'épices. La fabrique ? C'est avec une émotion contagieuse qu'elle en parle, évoquant « le travail sur la diversité des parfums » qui est réalisé dans le secret du vénérable établissement. Pousser la porte d'entrée, c'est entrer en contact avec un univers olfactif des plus riches, ressentir, aussi, au premier coup d’œil, la richesse d'une histoire. « On entre dans un autre siècle », explique-t-elle. Il y a le sol en tomettes, ce couloir, cette horloge au fond...

Au petit jeu des sensations ressenties grâce aux céréales, les agriculteurs ne sont pas les derniers. Ecouter Marc Patriat, agriculteur à Corrombles (Côte d'Or), évoquer sa vie aux champs, c'est là encore, la promesse d'un éveil des sens. Le regard, d'abord, qu'il porte sur cette campagne bourguignonne, dont le découpage agricole rappelle invariablement le rôle clé des hommes et femmes vivant sur ce territoire. Mais c'est aussi le toucher. Ce contact si particulier que les exploitants connaissent avec ce blé qu'ils façonnent tout au long d'une année. « Lorsqu'on en voit, on va naturellement en prendre en main », explique-t-il. Le rituel se poursuivra par une « mise en bouche », qui donnera cette fameuse pâte, sorte de chewing-gum végétal dont vous parlent, le sourire aux lèvres, tous les habitués des champs de blé.

Une pâte qui a peut-être quelque rapport avec celle que font les bébés à partir du petit bout de pain que leur donnent parfois les parents à la sortie de la boulangerie. Un pain qu'ils « suçottent » dans leur poussette, « entrée en matière » des enfants dans l'univers des céréales, comme le rappelle Anne Cazor, spécialiste de la gastronomie moléculaire. Un premier contact qui sera suivi de bien d'autres, porteurs d'autant de sensations diverses et variées. Cette passionnée de sciences et de cuisine s'y intéresse de près, elle qui travaille au rapprochement des laboratoires et des fourneaux, afin d'offrir aux chefs comme aux convives des restaurants de nouvelles expériences culinaires et gustatives.

Les céréales ? « Un terrain de jeu très intéressant ! », jure Anne Cazor. Ce n'est pas Jean-Michel Lorain, chef triplement étoilé de la Côte Saint Jacques, à Joigny (Yonne), qui dira le contraire. Lui qui aime à raconter de belles histoires à travers ses plats, prend plaisir à travailler les matières, associer des mets, des textures, tels l'huître et les céréales. Avant d'entraîner ses clients dans une expérience gustative faite « de couleurs et de saveurs », il se nourrit, pour créer, de son propre vécu, et notamment de ses voyages sur d'autres terres culinaires. C'est là qu'il captera par exemple des « odeurs » qui lui donneront, de retour en cuisine, l'inspiration nécessaire.

Le voyage dans l'imaginaire des céréales est donc bien une affaire de sens. Celui du goût bien sûr, central, mais également celui lié à toutes ces sensations visuelles, sonores, olfactives ou de toucher, qui restent en mémoire. Parfois depuis l'enfance : les « odeurs de la moisson, le soir », ont été évoquées par plusieurs intervenants plongés dans leurs souvenirs de jeunesse. Toutes ces petites choses qui, finalement, nous parlent du « rapport de l'homme avec l'émotion », comme le souligne Jean-Jacques Boutaud, sémiologue de l'alimentation. « C'est là le propre de l'être humain, il est capable de raconter des histoires et de fantasmer. Il a la faculté de ''décoller du réel'' ». Et, finalement, quel meilleur champ d'exploration pour l'imaginaire que ces céréales, qui se trouvent précisément à la base des grandes civilisations de l'humanité !