Tout bon chef qui se respecte doit-il être... gourmand ? Pour Benoît Bordier, la question ne se pose pas.

Sans hésiter, le maître des cuisines de la Régalade Saint-Honoré, à Paris, y répond par l'affirmative. Mieux : sa gourmandise est double. C'est d'abord celle du palais, des plats qui le font frémir de plaisir. Celle qui lui vient, probablement, de ses jeunes années, quand sa mère - « la meilleure cuisinière du monde, comme toutes les mamans », glisse-t-il - lui préparait des gâteaux de semoule. « C'est un vrai souvenir d'enfance pour moi, note-t-il. Elle m'en faisait beaucoup... Et je dévorais tout ! Avec du cacao, ou nature, c'était délicieux ! » Même sourire aux lèvres pour décrire le pain perdu qu'elle lui confectionnait, « avec amour ».

Mais Benoît Bordier a aussi en lui une « gourmandise » plus intellectuelle. Celle qui le pousse à chercher, dans ses cuisines, de nouvelles recettes, des saveurs jusqu'alors inconnues ou tout simplement oubliées. La curiosité est, à ses yeux, une qualité essentielle lorsqu'on est aux fourneaux. « C'est un métier qui se fait par passion, explique-t-il. Je cherche donc à ne pas refaire deux fois le même plat et j'essaie de comprendre comment travailler les nouveaux produits, comment intégrer de nouvelles techniques. »

Alors, c'est peu dire que ce chef de 40 ans a goûté avec un grand plaisir à l'exercice qui lui a été proposé il y a peu : effectuer une plongée dans le patrimoine culinaire des régions françaises pour réaliser deux ouvrages mettant à l'honneur les céréales. Initié par Passion Céréales, ce véritable tour de France de la culture de l'assiette a été, il l’assure, des plus stimulants.

Bras de gitan et cruchade bordelaise

« Nous sommes allés de surprise en surprise, reconnaît-il. Nous sommes partis à la rencontre de vrais plats populaires, aux recettes parfois surprenantes, que nous avons dû reproduire, en les mettant parfois au goût du jour. » Parmi les 80 plats proposés au fil de ces deux ouvrages parus aux éditions Menu Fretin (40 recettes d'automne/hiver pour le premier, 40 recettes de printemps/été pour le second), on retrouve des valeurs sûres du patrimoine culinaire français sucré et salé : Paris-Brest, riz pilaf, gâteau basque, soupe au pistou...

Mais on découvre également de petits trésors n'ayant pas toujours franchi les frontières de leur région d'attache. La recette n'est même parfois connue que par de rares initiés. « J'ai fait la rencontre de desserts étonnants, indique Benoît Bordier. C'est le cas du bras de gitan par exemple, qui est confectionné dans le Languedoc-Roussillon. C'est une recette gourmande : un biscuit roulé au chocolat avec une crème à l'orange à l'intérieur. »

Et puis il y a eu la découverte de la cruchade bordelaise. « Extraordinaire ! », s'exclame le chef. « A partir d'une liste d'ingrédients des plus simples, principalement des farines de maïs et de froment et de l'eau, on obtient au final des bâtonnets frits qui peuvent être servis avec des garnitures sucrées, salées ou des épices. Leur texture est étonnante, tout à la fois croustillante et un peu élastique. »

 « Le grand potentiel des céréales »

L'aventure culinaire et éditoriale a été l'occasion, pour Benoît Bordier, de renouer avec des recettes simples et d'en redécouvrir tout le potentiel. « Cette expérience a été une véritable piqûre de rappel pour moi, explique-t-il. J'ai vu combien il pouvait être intéressant de se pencher sur ces plats populaires. Lorsqu'on progresse dans la restauration, on délaisse parfois des recettes comme celle des beignets aux pommes, on ne pense pas non plus à retravailler le pain perdu, alors que ce sont des desserts qui peuvent être formidables ! »

Autre surprise pour le chef : découvrir combien le champ des possibles offert par les céréales pouvait être étendu. « Elles présentent un grand potentiel, constate-t-il. Au-delà de la farine, essentielle en cuisine et bien connue des chefs, il y a un univers particulièrement riche à explorer ! »

Cette plongée dans les recettes des terroirs français influencera, à coup sûr, le chef lors de la création de futurs plats. « Cela peut être une réelle source d'inspiration, il y a des procédés intéressants à retenir », estime-t-il. La cruchade bordelaise pourrait par exemple trouver sa place dans ses travaux sur les garnitures et les petits accompagnements. A une condition toutefois : que l'assiette le séduise. « Il faut que le plat me plaise, qu’il me fasse envie, car je fais d'abord à manger pour moi. Et si cela me donne du plaisir, alors je proposerai la recette aux autres. » En cuisine, la gourmandise est bien souvent la meilleure des conseillères.