Que va devenir le silo n°1 de Louvres ? La question alimente les discussions dans cette commune du Val-d'Oise depuis plusieurs années. Car force est de constater que le bâtiment est devenu, depuis sa mise en sommeil au début des années 2010, l'objet de toutes les attentions.

Tout a commencé avec le transfert en 2011, par la coopérative Agora, des activités des six silos implantés dans la commune, vers la zone d'activité du Roncé et le site d'Attainville. Des vestiges du riche passé agro-industriel de la région demeurent alors dans un secteur promis à une vaste restructuration : c'est là que la ZAC (Zone d'aménagement concerté) de l'éco-quartier de Louvres et Puiseux-en-France doit voir le jour. D'atelier d'urbanisme à exposition en passant par un appel à idées, le devenir des silos questionne et s'impose dans le débat local. Les habitants s'emparent du sujet, en même temps qu'ils découvrent leur attachement commun, fort, à un marqueur de l'identité de leur territoire.

Les discussions se concentrent sur le silo n°1. Ce bâtiment haut de 38 mètres, véritable « beffroi de l'agriculture », selon les mots de Nicolas Pierrot, conservateur en chef du patrimoine au service Patrimoines et inventaire de la Région Ile-de-France, a une place de choix dans l'imaginaire céréalier des habitants de la région. C'est son imposante silhouette qu'on devine en arrivant à Louvres, témoin d'un riche passé agricole. « Il s'agit là d'un élément identitaire majeur, confirme Laura Moubri, chargée d'opération à l'EPA Grand Paris Aménagement (anciennement EPA Plaine de France), structure en première ligne dans le projet de ZAC. C'est un marqueur du territoire qui rappelle un pan de l'histoire de Louvres et qui caractérise la ville : on voit ce silo de loin lorsqu'on arrive par la voie rapide francilienne ».

A la charnière de deux époques architecturales

Au-delà, « les habitants ont compris que leur silo leur permettait de tracer une trajectoire historique, confirme Nicolas Pierrot. Nous sommes là dans cette plaine de France où l'on produisait le bon pain de Gonesse pour la table royale. » De façon plus directe, le bâtiment rappelle à ses habitants un moment majeur de leur histoire économique : la révolution agricole des années 50. « Les silos constituent le support matériel de la mémoire de cette période, poursuit Nicolas Pierrot. Ils sont la marque de la modernisation industrielle du monde agricole. »

Le silo n°1 et ses 40 000 quintaux de capacité de stockage, constitue, en outre, un exemple remarquable de la transition architecturale qui s'opère alors, dans les années 50, dans le secteur de la construction de ces bâtiments agro-industriels. Édifié en 1950-51 à l'initiative de la Société coopérative agricole de stockage et de vente de blés de la région Nord de Paris (CANP), il est à la charnière entre deux époques, celle des « silos monuments » ou « silos architecture » et celle des « silos outils ». L'esthétisme avait toute son importance dans les premiers, objets de création et reflets de l'importance d'une organisation. Les seconds étaient conçus avec essentiellement un souci de performance technique.

« C'est une vraie histoire sur le plan architectural, explique Pierrot. Et ce bâtiment se trouve donc à la jointure. Dessiné par des ingénieurs et non des architectes, il va pourtant reprendre la forme d'un silo d'architecte ». Il s'agit donc là tout à la fois d'un « outil innovant », et d'une pièce architecturale conçue pour marquer l'importance du mouvement coopératif agricole, par sa grandeur et une certaine élégance (corniches, moulures, grande baie...).

« La mémoire agricole du site »

A mesure que le projet d'éco-quartier avançait, une évidence s'est donc imposée : un tel marqueur ne pouvait disparaître du paysage. Il a donc été décidé de préserver ce silo n°1, de l'intégrer au projet en le réhabilitant. Le cabinet d'architecte Castro Denissof Associés envisage alors d'en faire un immeuble de logements. Le projet devra toutefois être amendé, des études techniques de la réhabilitation « n'[ayant] pas permis de garantir la stabilité du silo pendant les travaux ».

La société immobilière Nexity tranche donc pour une autre option : le silo est déconstruit pour être, ensuite, « reconstruit dans la même volumétrie. Il conservera sa silhouette au cœur du paysage de Louvres », assure l'entreprise. « Le silo reconstruit strictement à l'identique restera au cœur du dispositif de recomposition du quartier de la gare », confirme-t-on du côté du cabinet d'architecte. « Ce sera un bâtiment de 13 étages, le gabarit et le volume seront maintenus », indique Laura Moubri, de l'EPA Grand Paris Aménagement.

Aujourd'hui disparue, cette silhouette du silo doit donc renaître d'ici la fin 2018. Elle abritera une quarantaine de logements, avec des commerces au pied de l'immeuble. Enfin, « le mobilier patrimonial du silo » qui a été préservé sera, indique l'EPA, « revalorisé dans le projet de la ZAC de l'écoquartier », afin de « conserver la mémoire agricole du site ».

Les murs d'origine ne seront plus là, mais le symbole du silo demeurera. Et avec lui, un marqueur puissant de l'histoire céréalière dans l'imaginaire collectif.