Le dictionnaire Larousse nous dit qu’un « tourment » est un « supplice » et une « vive douleur psychologique ». Alors quelle drôle d’idée que d’appeler « le tourment d’amour » ce délicieux  gâteau que les Guadeloupéens  font à  base de  pâte brisée, de confiture de coco et de génoise.

Rendons à César ce qui est à César  – il y a dans ce nom  également le mot « amour ». Et comme souvent, c’est avec l’amour que tout a commencé. L’origine de ces gâteaux n’est pas certaine car il existe deux légendes dont les versions sont différentes. La première raconte que les femmes des pêcheurs locaux cuisinaient un gâteau à la crème pour régaler leurs maris à leur retour de mer. La deuxième explique que les femmes faisaient ce gâteau pour elles-mêmes, pour compenser l’absence des maris et calmer l’inquiétude.

C’est cette deuxième version qui semble la plus probable. Effectivement, où sont la « souffrance » et les « douleurs psychologiques »  si le mari est de retour ? Non, décidément, on imagine mieux les femmes des pêcheurs se consoler avec une part du délice sucré. On sent là une vraie tourmente, l’attente, le désir inassouvi aussi. Et la recette de ce gâteau,  assez long à faire, confirme encore cette hypothèse. Le cuisiner fait passer le temps. Il faut d’abord cuire une confiture de coco, ensuite la mélanger à une crème pâtissière, râper la noix de coco, faire la pâte et la génoise...

 

Dans les ports des Îles des Saintes

Ces tourments d’amour, on les appelle spécialités guadeloupéennes mais ce n’est pas tout à fait juste. Ils constituent surtout le patrimoine gastronomique des Îles des Saintes rattachées à la Guadeloupe. Îles volcaniques et quasiment privées de sources d’eau, l’agriculture ne s’est jamais vraiment développée. Ici, la pêche restait l’activité principale des habitants. Les petits bateaux agiles nommés saintoises, autrefois en bois et à voile et désormais motorisés, partent chercher les poissons de corail, les langoustes et les crustacés.

Aujourd’hui dans les ports des Îles des Saintes, où les saintoises sont arrimées parmi les grands yachts, de petites tartelettes se vendent à la volée dès les débarcadères. C’est pratiquement la première spécialité qu’on découvre (à part le poisson bien sûr!) sur la Terre Haute et la Terre Basse, les deux plus grandes îles de l’archipel.

Les gâteaux sont pour la plupart en forme d’une petite tartelette individuelle et on dit souvent que ce sont les plus traditionnels. Francky Vincent, un des chanteurs antillais des plus connus, l’affirme même dans sa chanson grivoise consacrée à cette pâtisserie (mais aussi aux ébats amoureux) : « le tourment d’amour, c’est un petit gâteau ! ». Mais on trouve « les tourments d’amour » en formes de grosse tarte à partager ou même de gâteau rectangulaire dont les parts se vendent au poids.

 

Chaque année un concours du plus gros tourment d'amour (et de plus délicieux bien entendu!) est organisé.

 

Rond ou carré, toujours bon

Le fond de tarte, en pate brisée, nous est familier, comme si on était en Normandie. Rien d’étonnant quand on sait que les Saintois descendent des Normands, des Bretons ou encore des Anjois, arrivés dans les Caraïbes au 17ème siècle, et qui ont apporté leurs traditions gastronomiques avec eux. (D’ailleurs, comme la tradition du crochet et de la broderie, toujours très répandues).

La garniture par contre est bien locale, le goût de coco prévaut, tout comme les grands cocotiers dominent le paysage des 20 km des côtes saintoises. Mais on trouve maintenant « les tourments d’amour » avec des goûts très variés : à la goyave, à la banane, à l’ananas ou encore au fruit de la passion.

Trouver « le tourment d’amour » en dehors de la Guadeloupe n’est pas une tâche facile. Les Antillais de Paris indiqueront unanimement une seule adresse (« va chez Max, c’est comme à la maison »), une petite épicerie au 16, boulevard de Belleville où le gâteau se présente en gros pavé tout frais dont on peut acheter des parts.

Sinon, on peut le faire à la maison, même si personne dans la famille n’a l’intention de partir en mer. Ensuite, il suffit de le goûter, de sentir son arôme suave, et il n’y a plus aucun tourment. Il ne reste que l’amour et le gâteau à manger à deux.