Elles sont peu nombreuses, les comptines qui ont su traverser les décennies et qui ont été chantées avec le même entrain par plusieurs générations d'écoliers. Parmi elles, l'histoire d'un meunier fatigué dont la vitesse du moulin, trop rapide, fait craindre un accident...

« Meunier, tu dors, ton moulin va trop vite... Meunier, tu dors, ton moulin va trop fort... ».  Laissez traîner vos oreilles dans une cour de récréation, vous constaterez que les jeunes élèves reprennent aujourd'hui encore le refrain de cette chanson créée dans les années 1920 par Fernand Pothier et Léon Raiter.
Des auteurs qui ne sont pas passés à la postérité mais qui ont permis, bien involontairement, de maintenir dans l'imaginaire collectif des Français l'image du meunier.

Celui qui nous est conté ici trouve sa place dans l'Ancien Régime. C'est alors un personnage clé du monde rural. Il faut l'imaginer travaillant dans une France où les campagnes sont alors couvertes de moulins de farine (on en dénombre, selon Vauban, 80 000 en 1694).
Le meunier joue un rôle des plus importants dans l'économie locale, dans une société où la subsistance apparaît comme une préoccupation de premier ordre. Il est en effet celui qui possède le savoir nécessaire pour transformer le blé en farine, permettant ainsi la fabrication du pain. Les seigneurs de l'Ancien Régime l'ont bien compris, qui font des moulins des banalités dont l'utilisation est soumise au paiement d'une redevance.

Le meunier dans un exercice d'équilibriste
Le meunier attise les fantasmes d'une population qui est, de fait, dépendante de son travail. Il est à la fois respecté pour ses connaissances techniques (la mécanique ou l'hydraulique par exemple, tout autant que l'agriculture ou la gestion financière) mais également craint pour sa proximité avec le seigneur.
Difficile exercice d'équilibriste pour le chef d'orchestre du moulin : il doit en effet également composer avec la puissance temporelle qui voit dans son lieu de travail une ressource stratégique et lui impose donc une surveillance étroite.

Il n'en a pas toujours été ainsi. L'écrasement des céréales a en effet longtemps été une affaire privée. Au Néolithique, ce sont les femmes qui sont à la manœuvre au sein de leur foyer. C'est dans la Grèce antique que le métier de meunier verra véritablement le jour hors de la sphère privée. Il prendra alors, au fil des siècles une importance considérable pour aboutir à la situation évoquée sous l'Ancien Régime.
Les choses évolueront après la Révolution. Auréolée d'une renommée internationale, la meunerie française connaît de nombreuses avancées techniques au cours du XIXe siècle. Puis, au XXe siècle, le secteur sera marqué par un fort mouvement de concentration, le nombre de meuniers dans l'Hexagone diminuant considérablement (on compte moins de 400 moulins actifs en 2015 contre près de 40 000 en 1900).

« C'est à l'oreille qu'on le surveille »
Sur plus de deux millénaires, le travail du meunier, la technique demandée, l'organisation du travail exigée n'ont eu de cesse de changer. Mais une donnée est restée constante : la proximité de l'homme et de la machine. Une capacité, en somme, pour le professionnel, à comprendre, mieux que quiconque, son outil de travail.
Meunier à Dommartin (Nièvre), Thierry Dubois ne disait pas autre chose, en décembre dernier, lorsque, à l'occasion d'une soirée organisée par Passion Céréales à Dijon, il évoquait l'univers sonore propre à son métier. Capable de déceler la moindre problématique à l'écoute, il expliquait que « chaque moulin a ses particularités sonores, il faut toujours être à l'affût d'un bruit ». Et de conclure : « C'est à l'oreille qu'on le surveille ».