Plus que pour toute autre civilisation antique, nos connaissances sur les modes de vie de l’ancienne Egypte reposent paradoxalement surtout sur l’étude des coutumes et pratiques funéraires.

Le très riche mobilier déposé dans les tombes et les parois magnifiquement ornées offrent un fonds iconographique incomparable, véritable fenêtre sur un quotidien lointain. On y voit les êtres représentés vivants, occupés à leurs activités quotidiennes lors de leur vie terrestre (ci-dessus). Parmi ces activités céréalières, la moisson, le vannage, ou encore le glanage tiennent une place de choix dans les représentations figurées. Celles-ci nous montrent une continuité des techniques jusqu’à une époque récente en Europe (comme on peut le voir sur des œuvres du XIXe siècle, Des Glaneuses de Millet, par exemple).

Si les scènes sont pleines de vie et même empreintes d’une certaine gaieté, les agriculteurs en charge des récoltes de céréales ou de l’élevage menaient une vie rude et difficile. Ils composaient la grande majorité des classes les plus populaires. Réalisées à main d’hommes dans des sociétés qui n’ont employé d’outils métalliques que tardivement, les tâches liées à l’exploitation des terres étaient de véritables corvées. Le contrôle rigoureux par les fonctionnaires de l’Etat imposait en outre une pression institutionnelle non négligeable dans une société fortement hiérarchisée.

En plus des représentations peintes, un mobilier original pouvait accompagner les défunts. Les modèles antiques, et notamment des maquettes de greniers (ci-dessous), caractéristiques de la période du Moyen Empire, nous permettent d’en connaître un peu plus sur la vie des céréaliers des bords du Nil au IIIe millénaire avant notre ère. Le musée du Louvre en conserve de beaux spécimens, d’un grand réalisme, comprenant souvent de petits personnages affairés. Elles permettent d’imaginer les bâtiments construits pour la conservation du grain et ne sont pas sans rappeler certaines constructions en brique de terre crue que l’on retrouve toujours dans les zones les plus rurales de l’Egypte contemporaine. Soulignons également que l’ancienne Egypte aurait été l’un des foyers de domestication du chat, afin de chasser souris et autres rongeurs des greniers.

Modèle de grenier, Moyen Empire, vers 2000-1900 avant J.-C. Modèle de greniers avec des scribes enregistrant la rentrée du grain provenant de la tombe de Nakhti, vers 1950-1900 vaant J.-C.

On peut s’étonner de trouver l’ensemble de ces vestiges si attachés au vivant dans des contextes archéologiques uniquement funéraires. En Egypte, plusieurs facteurs l’expliquent. D’un point de vue technique, les nécropoles étaient installées dans le désert, symbole même de la mort. L’aridité ambiante y a permis une meilleure conservation des offrandes déposées que pour les vestiges conservées dans les zones de vie plus humides des abords du fleuve. Mais la véritable explication est que les pains et les blés déposés dans les tombes, comme les maquettes de grenier, étaient destinés à assurer le ravitaillement du défunt dans sa tombe. En effet, la mythologie égyptienne imagine un Au-Delà sous la forme d’un royaume calqué sur la vie terrestre, où quelques privilégiés dont le corps auraient été conservés – d’où la pratique de momification – pourraient rejoindre Osiris.

Si les Egyptiens sont censés nourrir leurs ancêtres en leur déposant des denrées sur des tables d’offrandes, les pains, bières et autres viandes matérialisés en modèles pouvaient devenir « réels » par recours à des formules magiques. Les représentations sur les parois ou les tables à offrandes étaient donc purement utilitaires, et avaient, selon la croyance antique, le pouvoir d’assurer la sustentation attendue par le défunt à son réveil, en cas de défaillance des offrandes déposées dans les chapelles funéraires. Les champs d’orge et de blé représentés sur les parois sont de véritables promesses de terres riches et fertiles à valoriser après la mort. Les Egyptiens pourvoyant à tout, ils se sont entourés de troupes de serviteurs funéraires pour les accompagner, voire même se substituer aux défunts dans les corvées agricoles et notamment céréalières.

La troupe des serviteurs funéraires, 21e dynastie, vers 1069-945 av.J.-C.

Ces serviteurs, communément appelés Ouchebtis (ci-dessus) devaient s’assurer du rendement des productions et de la gestion des céréales produites. Ils sont autant d’illustrations des frontières extrêmement poreuses entre croyances en des forces magiques et besoins très pragmatiques qui caractérisaient la perception du monde dans l’Egypte antique.

Si l’Egypte antique a subi au cours du dernier millénaire de son histoire de multiples invasions, elle a toujours gardé une part d’indépendance en conservant à sa tête la figure de Pharaon. Seule l’annexion par l’Empire romain en pleine expansion, en l’an 30 avant notre ère, va bouleverser et progressivement transformer la culture de l’ancienne Egypte, devenue une province romaine, byzantine, puis tombée sous la domination arabe à partir du VIIe siècle.

La fascinante civilisation antique des bords du Nil est marquée par un lien fondamental et récurrent avec les pratiques céréalières, aussi bien dans la vie qu’au-delà de la mort. On n’imagine a priori assez peu combien notre appréhension de la culture égyptienne doit aux représentations céréalières, mais un examen attentif des vestiges nous le montre ; les découvertes archéologiques exposées au musée du Louvre nous permettent de réaliser que les céréales et l’activité autour de leur production tiennent une place majeure dans la mythologie et l’organisation de la société égyptienne antique, ce qui explique leur omniprésence objets qui sont parvenus jusqu’à nous. Base de l’alimentation et élément premier de la vie dans l’Au-Delà, les céréales participent fortement, pour les Egyptiens, au cycle de l’éternité, et continuent de susciter pour nous un puissant imaginaire, à la fois si loin de notre culture, mais si proche du monde agricole qui est l’un des fondements de nos sociétés contemporaines.

 

Cet article est un épisode issus d'un parcours de visite au musée du Louvre, qui permet de poser un autre regard sur les céréales et les produits céréaliers et d’en découvrir la dimension symbolique et sacrée à l’époque pharaonique.

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