C'est l'un des acteurs -des « farceurs »- les plus célèbres du début du XVIIe siècle. Le personnage qu'il crée, Gros-Guillaume, est d'ailleurs tellement apprécié que c'est souvent par ce surnom qu'on le désigne. Robert Guérin symbolise à travers les traits de ce personnage sentencieux l'influence de la commedia dell'arte sur la scène française.

Mais contrairement à ses condisciples de l'hôtel de Bourgogne, éminent lieu de représentation théâtrale dans le Paris d'alors, il ne fait pas usage du masque pour jouer, mais de farine. Rien d'étonnant pour un ancien boulanger ! Tout en rondeur, Gros-Guillaume s'en recouvre ainsi le visage avant chaque représentation. Ses contemporains rapportent qu'en remuant les lèvres, il avait la faculté de blanchir subitement ses interlocuteurs... pour le plus grand plaisir des spectateurs.

Comme lui, nombre d'acteurs, mais aussi de bateleurs ou de bouffons, vont faire usage, au fil des siècles, de fards pour donner plus de force à leur interprétation, et notamment aux mouvements d'yeux et de bouche des comédiens. Aux XVIe et XVIIe siècles, on reconnaît là l'influence de la scène italienne. On se « farine » donc sur les tréteaux. Mais on y utilise également de plus en plus fréquemment des masques venus eux aussi tout droit d'Italie. Ils tiennent une place centrale dans la commedia dell'arte, où ils permettent de grossir les traits des personnages.

Masques, « enfarinement » du visage... Autant d'artifices qui renvoient directement aux usages qui ont cours dans les carnavals. L'un des plus beaux exemples en est certainement le carnaval de Venise dont les masques sont à l'origine constitués de plusieurs couches de farine (toujours elle!) diluée dans l'eau et reposant sur une matière textile. Les pratiques de la cité des Doges ont essaimé à travers l'Europe et de tels masques de farine se retrouvent jusqu'à nos jours dans de nombreux carnavals, en Catalogne par exemple. Au même titre que la suie, le charbon ou la lie de vin, la farine occupe aussi une place centrale parmi les fards utilisés directement sur la peau des participants au carnaval, tout particulièrement au Moyen-Age -de la même manière qu'elle sera utilisée, jusqu'au XVIIIe siècle, par les bateleurs du Pont-Neuf ou les acteurs de la Place-Dauphine, à Paris. Elle permet de se dissimuler, cacher son apparence, et ainsi accomplir au mieux le rite de travestissement qui accompagne ces manifestations festives.

En somme, la farine symbolise le passage. D'un être à l'autre, le temps d'une représentation théâtrale ou d'un carnaval. Mais aussi d'une condition à l'autre, aux grandes étapes d'une vie. Pour le défunt qui allait accomplir son dernier voyage, l' « enfarinement » pouvait faire partie des rituels nécessaires à la préparation du mort pour l'au-delà. Un rituel qui pourrait trouver l'une de ses origines sous l'Antiquité, dans les pratiques de fidèles lors de cultes antiques de Dionysos, dieu grec du vin, du théâtre mais aussi et surtout de la renaissance et de l'éternel recommencement. Ils se recouvraient alors le visage de farine, le blanc étant alors pour eux une représentation symbolique de la mort, en référence à la couleur des os du cadavre. De même, dans certaines régions du monde, la tradition voulait qu'à l'heure de son mariage, la future épouse ait le visage recouvert de farine de blé ou de riz.

 

Illustration : Gravure d'Abraham Bosse représentant une scène de comédie jouée à l'Hôtel de Bourgogne, avec notamment le personnage de Gros-Guillaume - 1637