Il l'appelle « l'ami oublié ». Dans un vibrant hommage au pain, Paul Le Mens, ingénieur en sciences des aliments, évoque avec émotion ce compagnon des repas, aussi discret qu'indispensable, qui, par la force des habitudes, ne serait parfois plus remarqué par les consommateurs.

« Vous ne me regardez même pas, alors que je vous tiens la main tout au long du repas », fait dire le narrateur à un pain dépité. Pourtant, comme l'explique Paul Le Mens, l'aliment est omniprésent dans nos vies. Et ce dès le plus jeune âge : « Vers 8 mois, bébés, vous avez tous commencé à me mâchouiller », poursuit-il.

C'est à l'occasion d'un Voyage dans l'imaginaire des céréales mené fin novembre à Poitiers par Passion Céréales que l'ingénieur a dit tout le bien qu'il pensait du pain (organisant même pour l'occasion une véritable séance de dégustation avec les spectateurs). Surtout, dans la droite ligne des propos des différents intervenants de la soirée, il a montré combien nos liens avec les céréales et les produits céréaliers étaient profonds, et souvent le fruit d'une longue et riche histoire.

« Le pain est un produit ancré dans toute l'histoire de la civilisation humaine », lui a répondu, comme en écho, Gérard Brochoire. L'ancien directeur de l'Institut national de la boulangerie-pâtisserie a rappelé que ce pain avait d'ailleurs été retrouvé jusque dans les tombes des pharaons de l’Égypte antique. L'aliment a ainsi accompagné, depuis plusieurs millénaires, la longue marche de l'humanité.

C'est vers l'Histoire que Pascal Pouilly se tourne également lorsqu'il évoque la production de bière dont il a fait son métier. Propriétaire de la brasserie de Bellefois, il aime à rappeler quelle est l'origine de ce breuvage dont la production connaît aujourd'hui un saisissant renouveau. Il faut prendre le chemin de la Mésopotamie pour le découvrir. Dans les temps anciens, « les habitants cherchèrent à protéger leurs récoltes de céréales en les plaçant dans des amphores munies d'un bouchon, déposées au sol et recouvertes de sable », explique-t-il. Problème : certaines n'étaient pas totalement étanches, l'eau s'invita donc parfois aux côtés des céréales. A la faveur d'une augmentation de température, la fermentation devait permettre la production des premières bières. Les techniques de mise au point du breuvage allait bien sûr fortement évoluer au cours des millénaires. Mais le principe général lui, ne changera pas jusqu'à nos jours.

Le moulin, ce merveilleux terrain de jeu
Pour expliquer les liens singuliers qui peuvent apparaître entre hommes et céréales, c'est souvent une histoire familiale qui est convoquée. Le pain a ainsi marqué la destinée de nombreuses dynasties. « Je suis né dans une boulangerie de Poitiers », explique ainsi Gérard Brochoire, évoquant ce travail de la pâte mené avec passion dans sa famille, et notamment par son père. L'aventure céréalière est aussi au cœur de l'épopée familiale de Mathieu Laurin. Le gérant de la boulangerie Emile à Poitiers se remémore avec émotion ses premières années passées dans un moulin, merveilleux « terrain de jeu ». Descendant d'une longue lignée de meuniers, il a grandi au milieu des sons et des odeurs si caractéristiques de ces lieux. « Mes premières sensations », se souvient-il. C'est là qu'est née son amour pour la farine et le pain.

L'enfance, toujours : celle que convoque le chef étoilé Richard Toix (restaurant Passions & Gourmandises) lorsqu'il évoque sa passion pour le riz - « J'en suis fou », sourit-il. Le jeune garçon en mangeait, le grand cuisinier ne se lasse pas de redécouvrir cet aliment et les multiples possibilités culinaires qu'il offre. Il parle avec émotion des paellas, des risottos, de son attachement au riz rond mais aussi au riz « bomba » d'origine espagnole. Il détaille aussi d'autres possibilités, moins connues, offertes par ces grains précieux et que les hommes ont su maîtriser au fil des temps. Le saké, par exemple. « J'ai appris un jour que l'on pouvait faire de l'alcool avec du riz ». Depuis, il organise « des dégustations à l'aveugle de saké, qui ont des arômes exceptionnels ».

La « conversation des anges »
Le poids de l'histoire, qu'elle soit celle d'un homme, d'une famille ou de l'humanité : voici donc la clé pour comprendre les liens forts qui nous unissent aux céréales. Face à ce constat, Claudette Fuzeau a une hypothèse : et si les cieux jouaient, eux aussi, un rôle, et interagissaient dans notre quotidien céréalier ? « Magnétiseuse de mogettes », la dame a pris part elle aussi au Voyage de Passion Céréales, apportant quelques-unes des touches d'humour et de poésie qu'on trouve dans ses spectacles. Et selon elle, ce n'est pas la main de l'homme qu'il faut voir derrière les crop circles, ces formes géométriques qui surgissent dans certains champs. Non, pour Claudette, pas de doute, ils sont la traduction végétale d'une... « conversation avec les anges ».

L'idée est belle et prouve combien ces étendues de cultures sont porteuses d'un riche imaginaire. Des étendues dont Jean-Marc Renaudeau a, pour sa part, fait « son bureau ». Concluant ce Voyage, l'agriculteur, délégué de Passion Céréales en Poitou-Charentes, a rappelé son amour de la terre et de ce lieu de travail en plein air, véritable « patchwork de couleurs ». Avant d'inviter tout à chacun à redécouvrir dans son quotidien l'omniprésence des céréales : « Quand vous buvez de la bière, pensez à l'orge, quand vous mangez des pâtes, pensez au blé dur... Et quand vous achetez du pain, pensez au blé ». Ce serait, pour « l'ami oublié », un juste retour des choses.

 

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