Cela a été, au cœur de l'été 2015, une découverte majeure. A Corent, dans le Puy-de-Dôme, des archéologues ont mis à jour des centaines de silos à grains construits par les Gaulois. Chacun pouvait stocker 500 kg à 1,5 tonne de céréales. 

Des constructions d'ampleur qui montrent, si besoin en était, combien ces récoltes étaient précieuses pour les habitants des lieux à l'âge de fer (entre 750 et 50 av. J.-C.). Et combien cette importance pouvait se lire sur le territoire. Sur ce point précis, les choses n'ont pas vraiment changé en Auvergne. « Aujourd'hui, les silos de stockage sont des coffres-forts qui protègent ce que j'ai récolté pour avoir du pain toute l'année », assure Michel Delsuc, agriculteur auvergnat et délégué régional de Passion Céréales. Bien visibles dans le paysage, ils témoignent de la place des céréales dans le quotidien de la région. Des céréales qui apparaissent comme de véritables marqueurs du territoire, partie constituante d'une identité. « Quand on croque dans une tartine, on croque dans le savoir-faire de l'Auvergne, poursuit-il. On croque dans un bassin de vie, un bassin d'emplois ».

Le lien entre les céréales et les territoires a d'ailleurs été au cœur des échanges d'une soirée organisée début décembre par Passion Céréales à Clermont-Ferrand. Un Voyage dans l'imaginaire qui a permis à plusieurs intervenants, fins connaisseurs de l'Auvergne, de rappeler combien « On [pouvait] lire dans les paysages la marque des céréales », comme l'a rappelé Yves Michelin, directeur scientifique adjoint de VetAgroSup. Une marque qui se laisse deviner à travers de nombreux éléments architecturaux, telles les chaumières des cultivateurs, ou des traits de ces paysages d'altitude où les céréales ont poussé depuis fort longtemps. Elles s'inviteraient également dans la toponymie. « Le ''Cézalier'', c'est la terre du seigle », relève ainsi Bernard Quinsat, figure emblématique de la marche en Auvergne. Le nom de ce massif de moyenne montagne s'écrivait à l'origine, avec un  seul « l » (contre deux actuellement). Et son étymologie renverrait en effet à la présence de cette culture sur ces terres d'altitude.

Faire chanter une paille de seigle
Les céréales ont également laissé leur empreinte dans le patrimoine culturel auvergnat. En témoigne cette découverte, faite par André Ricros, fondateur de l'agence des musiques des territoires d'Auvergne, il y a une quarantaine d'années dans un village du Cantal. Un habitant lui expliqua alors quel était l'instrument de musique des jeunes des alentours. La cabrette (cornemuse auvergnate) prenait ici une forme pour le moins singulière. En l'occurrence celle d'une paille de seigle, munie d'une petite hanche battante et d'un trou pour chaque doigt. Elle pouvait être perfectionnée, notamment en lui adjoignant une vessie de porc.

Preuve du marqueur naturel que représentent les céréales pour le terroir auvergnat, c'est vers elles que s'est tout naturellement tourné Xavier Beaudiment lorsqu'il a décidé de « faire une cuisine de terroir avec ce qui existait dans notre belle Auvergne. » Le chef étoilé (restaurant Le Pré, à Durtol) explique ainsi avoir « fait rentrer les céréales dans les cuisines ». Travail sur le pain, sur le petit épeautre, les coquillettes ou même la glace au foin... Les idées ne manquent pas pour célébrer graines et produits céréaliers.

Anne-Lise Amiot avait, elle aussi, à cœur de mettre en valeur son territoire lorsqu'elle s'est lancée dans la confection de bières. Cofondatrice des bières Le Plan B, elle explique qu'elle souhaitait « réinstaller une fabrique artisanale dans le centre-ville de Clermont-Ferrand. L'Auvergne est aussi une terre de bière ! », assure-t-elle. Au-delà, l'ambition portée est aujourd'hui de « se fournir 100 % localement », en produisant des bières à partir des variétés bio de la région.

Grandir entre une galette de sarrasin et des pâtes italiennes
Les céréales, porte-étendard d'un territoire ? C'est également l'idée portée par la coopérative Limagrain. Ingénieur Recherche & développement en panification chez Limagrain Céréales Ingrédients, Raphaël Leroux sillonne le monde pour participer au processus d'élaboration de pains adaptés aux habitudes alimentaires des différents pays. « Chaque fois que j'interviens, je le fais avec des ingrédients qui sont produits en Auvergne, explique-t-il. J'amène donc une petite partie de la région dans chacun de ces endroits ». L'occasion pour lui de mesurer également combien les produits céréaliers, et en premier lieu desquels le pain, participent à la construction d'une identité et d'un patrimoine. « Mes clients me demandent de produire un pain qui leur ressemble », explique-t-il. A travers le monde, chaque nation a en effet bâti ses propres habitudes alimentaires autour de produits spécifiques. De l'Arabie Saoudite à la Russie en passant par l'Australie, la définition d'un « bon pain » variera donc selon de multiples paramètres (forme, texture, recette...).

Dans l'imaginaire collectif, les spécialités alimentaires peuvent d'ailleurs symboliser à elles seules une région. Le maire de Clermont-Ferrand, Olivier Bianchi, le sait mieux que personne : « Ma mère était bretonne, mon père d'origine italienne, explique-t-il. J'ai donc grandi entre la galette de sarrasin et les pâtes italiennes ». Il en a gardé un goût prononcé pour la cuisine. Avec, au fond de lui, une conviction : si l'ensemble des territoires se caractérisent par des patrimoines culinaires distincts, tous ont en commun d'avoir été marqués par la présence des céréales, qui ont bien représenté la base de la « nourriture de toutes les civilisations ».