Le 21 novembre dernier, Philippe Du Janerand, comédien, participait au Voyage dans l'imaginaire des céréales organisé par Passion Céréales à Tours.

Philippe Du Janerand, comédien, nous raconte... par passioncereales

"C’est en buvant une bonne bière que je plonge dans le foudre de mes souvenirs.

D’abord, c’était la route des vacances… Il faisait beau, on pouvait entendre Une belle histoire chantée par Michel Fugain… On prenait la nationale… on s’arrêtait en famille dès qu’un petit chemin s’ouvrait dans la campagne. Il n’y avait plus que le vent dans le blé qui nous calmait d’un long voyage… Je me souviens que mon père me montrait qu’un épi de blé pouvait se désagréger en petits grains… en les mettant en boule, ils s’humidifient et il me disait : « C’est presque du chewing-gum ».

J’ai encore en mémoire cette sorte de bouillie qui me faisait effectivement ressembler à un James Dean au petit pied.

Avec les coquelicots qui piquaient le champ de touches sanglantes… C’est la peinture de Van Gogh qui s’évoque… C’est aussi le tableau représentant une sieste paysanne après le fauchage… à l’ombre d’une meule.

C’est en buvant une bonne vodka… oui… cela me revient...en sortant de l’école, c’était invariable, le petit pain au chocolat… On faisait la queue… On louchait aussi sur les Cocos et le bâton de réglisse, on humait les brioches, mais rien à faire, c’était pain au chocolat… et la chanson de Joe…

Tous les matins il achetait

Son p'tit pain au chocolat

La boulangère lui souriait

Il ne la regardait pas

Et pourtant elle était belle

Les clients ne voyaient qu'elle

Il faut dire qu'elle était

Vraiment très croustillante

Autant que ses croissants

Et elle rêvait mélancolique

Le soir dans sa boutique

A ce jeune homme distant

Il était myope voilà tout

Mais elle ne le savait pas

Il vivait dans un monde flou

Où les nuages volaient bas

Il ne voyait pas qu'elle était belle

Ne savait pas qu'elle était celle

Que le destin lui

Envoyait à l'aveuglette

Pour faire son bonheur

Et la fille qui n'était pas bête

Acheta des lunettes

A l'élu de son cœur

Dans l'odeur chaude des galettes

Et des baguettes et des babas

Dans la boulangerie en fête

Un soir on les maria

Toute en blanc qu'elle était belle

Les clients ne voyaient qu'elle

Et de leur union sont nés

Des tas des petits gosses

Myopes comme leur papa

Gambadant parmi les brioches

Se remplissant les poches

De p'tits pains au chocolat

Et pourtant elle était belle

Les clients ne voyaient qu'elle

Et quand on y pense

La vie est très bien faite

Il suffit de si peu

D'une simple paire de lunettes

Pour rapprocher deux êtres

Et pour qu'ils soient heureux

Joe Dassin

Voilà pourquoi je porte des lunettes.

C’est en buvant un bon gin fizz que la Marie me revient à la mémoire. On allait chez la Marie, rue de l’Eglise, avec notre part de beurre salé… Oh… il n’y avait pas grand monde chez la Marie… toujours les mêmes mômes… dont un… moi, le parisien… elle parlait breton la Marie… elle portait la coiffe, la bigoudène… et la Marie… c’était la reine… les meilleurs crêpes du monde, c’était rue de l’Eglise, au Guilvinec... oui… elle m’a piégé la Marie… elle disait blé noir, elle disait galette… elle parlait des sarrasins. Mais maintenant je sais… pas céréale, le blé noir. J’ai poussé depuis. Après on faisait mes sucrées... et là… oui… C’était la fête du blé si tendre.

C’est en buvant un bon saké que je ne pense pas forcément au riz. Et pourtant, je vois des chars de combat dans les champs lorsque le temps des moissons est ouvert. Temps de moissons, temps de guerre. Cette fumée de poussières qui montent de la terre sèche… et la nuit, cela devient Hollywood. On s’attend au lancement de Philae vers Tchouri. Les gueules à roue qui avalent comme goulues, cette rage de la moisson, ce corps à corps… et les bennes qui attendent comme ivres, la ration titanesque.

Un temps… et les paysages deviennent monuments aztèques de meules, de constructions offertes au Grand Soleil… lourdes et massives sur l’horizon… Un temps de bataille est passé… restent les châteaux. La paix est revenue. Mais le chaume au sol est devenu fer… et si le fakir veut bien passer sur la planche à clou. Ce temps de moisson, ce grand temps de débauche et d’orgie. Les vendanges vont très rapidement pointer. On va se gorger.

Et en buvant un bon whisky, naturellement, le Vivant s’incruste… Il dit :

C’est la fête du blé, c’est la fête du pain.

Aux chers lieux d’autrefois revus après ces choses !

Tout bruit, la nature et l’homme dans un bain

De lumière si blanc que les ombres sont roses.

L’or des pailles s’effondre au vol siffleur des faux

Dont l’éclair plonge, et va luire, et se réverbère.

La plaine, tout au loin, couverte de travaux,

Change de face à chaque instant, gaie et sévère.

Tout halète, tout n’est qu’effort et mouvement

Sous le soleil, tranquille auteur des moissons mûres,

Et qui travaille encore imperturbablement

A gonfler, à sucer là-bas les grappes sures.

Travaille, vieux soleil, pour le pain et le vin,

Nourris l’homme du lait et de la terre, et lui donne

L’honnête verre où rit un peu d’oubli divin.

Moissonneurs, vendangeurs là-bas ! Votre heure est bonne !

Car sur la fleur des pains et sur la fleur des vins,

Fruit de la force humaine en tous lieux répartie

Dieu moissonne, et vendange, et dispose à ses fins

La Chair et le Sang pour le calice et l’hostie !

Paul Verlaine.

C’est en buvant une bonne aquavit – eau de vie – que je me souviens avoir voulu faire la cuisine pour mes parents absents. La tâche était noble : servir des pâtes, de très bonnes pâtes… Les colorier d’herbes, les parmesanter, en faire une sorte d’œuvre artistique du meilleur goût, bref en parler comme d’un chef-d’œuvre.

Je me lançais donc… facile… eau à bouillir… facile… servir avec une noix de beurre… Stupéfait, j’arrêtais tout pour descendre chez l’épicier. Une fois remonté, en fait, le plus difficile était de comprendre s’il fallait mettre le beurre à l’intérieur ou à l’extérieur de la noix.

Les enfants sont charmants.

Je tiens à préciser qu’un jour j’ai découvert la vérité.

Vive les farfalles.

Vive le blé.

Vive le vin.