Les 17 et 18 juin se tenaient les vingtièmes Journées du Patrimoine de pays et des Moulins, organisées par un réseau associatif réuni autour d’un objectif majeur : la sauvegarde d’un héritage souvent méconnu et pourtant au cœur de notre quotidien. Le patrimoine minotier est l’une des composantes essentielles de ces journées, l’occasion pour nous de revenir sur ces édifices qui font partie de notre patrimoine architectural, technique.

Un motif artistique familier

Au-delà des célèbres Lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet, ou de la fameuse comptine Meunier, tu dors, force est de constater que les moulins sont présents dans la culture populaire comme un symbole de calme, de contemplation du temps qui passe ou, au contraire, de force voire d’emballement d’une machine qui dépasse l’homme et devient incontrôlable. Le Moulin, poème de Guy de Maupassant, ou le personnage de Don Quichotte se battant vainement contre les moulins dans le roman de Cervantès, illustrent le pouvoir évocateur du moulin. Qu’il soit à vent ou à eau, le moulin fascine. Sans aller vers les Pays-Bas, puisque les moulins qui inspirent les artistes hollandais et flamands entre les XVe et XVIIIe siècles servent pour la plupart à pomper l’eau des polders et non à moudre du grain, on trouve chez de nombreux artistes européens des représentations de moulins, en particulier à vent. La seule présence de la silhouette familière des ailes du moulin suffit à symboliser la vie rurale, chez le peintre Camille Corot, par exemple, à signifier le contexte agricole dans sa quiétude ou face aux éléments parfois hostiles de la nature – la puissance incontrôlable de l’eau ou du vent – que l’homme tente de dompter, et dont il tire parti pour produire de la farine.

Aussi, le moulin devient-il parfois une figure inquiétante, un élément respecté du paysage campagnard, légèrement à l’écart des habitations.

Les stratégies militaires ont placé la bataille de Valmy à quelques distances d’un moulin à vent, dominant la plaine champenoise. Les représentations peintes qui suivirent cet événement fédérateur de l’histoire de la Révolution française montrent le moulin de Valmy, signal pittoresque dans un paysage de champs, s’associant rétrospectivement si bien aux paroles de La Marseillaise. Il suffit de voir une scène belliqueuse avec, en toile de fond, un moulin à vent, pour comprendre qu’il s’agit d’un tableau ou d’une gravure montrant la célèbre bataille de 1792. Ironie de l’histoire, le moulin avait pourtant été abattu au soir de la bataille sur ordre du général Kellermann, car il offrait une cible idéale aux ennemis prussiens.

Quelques années auparavant, lorsque la reine Marie-Antoinette confia à l’architecte Richard Mique la construction d’un hameau champêtre dans son domaine de Trianon, à Versailles, le moulin devait constituer un édifice incontournable pour exprimer l’idée de ruralité. Sans mécanisme utilitaire, ce moulin à eau est réduit à la beauté de sa roue entraînée par un paisible petit ru. On constate donc la charge très ambivalente du moulin dans l’imaginaire collectif, avec cependant la constante de l’évocation immédiate de la campagne, dans une nature transformée par l’homme pour faire tourner la machine.

 

Le pouvoir de se réinventer

Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, le moulin est avant tout un élément du pouvoir seigneurial. Le contrôler, c’est disposer sur la population d’un atout majeur puisqu’il constitue un maillon incontournable dans l’élaboration du pain, base de l’alimentation. Les taxes, perçues par le roi, la noblesse ou les abbayes et couvents, détenteurs des droits féodaux, forment une manne considérable. Les moulins s’échangent ou se vendent entre seigneurs, ils sont convoités et leur implantation est réglementée sur le territoire. De grandes dynasties de meuniers naissent avec le perfectionnement technique des moulins, particulièrement à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Avec l’ère industrielle au siècle suivant, les dynasties minotières deviennent des sociétés qui se spécialisent dans la production de différents types de farine, car l’alimentation et les recettes se diversifient. Il faut aussi répondre aux besoins d’une population toujours plus nombreuse. La machine à vapeur et des turbines plus performantes viennent pallier l’absence de vent ou la sécheresse passagère d’un cours d’eau. Cependant, qu’en est-il du moulin lui-même ? Car ces avancées technologiques modifient l’aspect traditionnel du moulin : les ailes disparaissent, les roues à eau qui subsistent sont enveloppées à l’intérieur des impressionnantes minoteries fleurissant à la périphérie des villes. Le moulin fait irruption dans le paysage périurbain, aux portes de la cité, et son esthétique se réinvente.

 

Plus d’aile ou de roue ? Qu’à cela ne tienne, les grands moulins deviennent de véritables châteaux, à la fois forteresses garantissant la population contre la disette due aux aléas du climat, et évocation d’élégantes demeures entre la ville et la campagne. Pinacles, créneaux, hautes toitures, donjons, poivrières, meurtrières et jeux de couleurs dans les matériaux, tout concourt à pérenniser le moulin dans son rôle d’exception, œuvre à la fois architecturale et expression d’ingéniosité et de haute technicité. A Marquette-lez-Lille, les grands moulins de style néo-Renaissance flamande, dus à l’architecte Vuagnaux en 1921, trônent toujours au bord de la Deûle. Si l’on n’écrase plus de grain dans ce palais minotier, l’activité ayant été reportée vers de nouveaux sites adaptées aux techniques contemporaines, nul doute que l’on entendra cependant beaucoup de roues et de meules tourner lors des Journées du Patrimoine de pays et des Moulins, et que la fascination des engrenages, des courroies et des blutoirs s’exercera une nouvelle fois lors de la découverte des moulins par le public. Qu’ils fonctionnent grâce au vent, au courant des rivières, à la force des marées, ou encore par l’intermédiaire de machines à vapeur ou de générateurs électriques, moulins traditionnels et industriels sont des concentrés d’histoire et de technicité. Ils témoignent de l’évolution du savoir-faire des artisans et des ingénieurs, au service de notre alimentation, et parfois de notre gourmandise, au service aussi de notre curiosité et de notre contemplation.

 

Avec 120 000 visiteurs annuels, et 1 200 animations à travers la France,
ces Journées consacrées au patrimoine de pays et aux moulins connaissent un important succès.
La Fédération française des Associations de sauvegarde des Moulins (FFAM) est depuis 2006
un partenaire de ce moment fort.
En effet, le monde de la minoterie intéresse particulièrement les visiteurs ;
nombre de moulins, que l’on peut découvrir à cette occasion ou à d’autres moments privilégiés de l’année,
sont pris d’assaut par un public curieux de voir comment fonctionnent ce qu’il faut bien considérer
comme de grandes machines abritées dans des enveloppes de pierre ou de bois.

https://www.patrimoinedepays-moulins.org