Arrivé en Europe en 1492, le maïs va, en quelques siècles, conquérir le continent. Des caravelles de Christophe Colomb aux assiettes de polenta italienne, retour sur sa formidable épopée.

La plante, d'abord, les a impressionnés. Lorsqu'ils débarquent sur les terres du Nouveau Monde en cette fin de XVe siècle, les explorateurs s'étonnent du gigantisme du maïs, en rien comparable aux cultures les plus présentes dans les champs européens. Leur surprise est d'ailleurs double : cette céréale est, certes, immense, mais elle joue aussi une place centrale dans l'alimentation des peuplades rencontrées. Elle est également au cœur de leurs croyances, plante divine pour nombre de civilisations amérindiennes.
Lorsqu'il fait cette découverte sur l'île d'Hispaniola (Haïti), où les Taïnos appellent leur culture « mahiz », Christophe Colomb décide d'en ramener plusieurs plants en Espagne. Le maïs caraïbe fait alors ses premiers pas sur le sol européen. Le début d'une irrésistible conquête.

« Blé de Turquie »

La plante se fait tout d'abord connaître auprès d'influentes personnalités, s'offrant ainsi une exposition favorable à sa diffusion. Christophe Colomb présente le maïs parmi d'autres cultures aux souverains espagnols, Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon. De même, le pape Alexandre VI Borgia en reçoit des épis. Le maïs étend peu à peu son aire géographique. Mais en cette première moitié de XVIe siècle, force est de constater que ses débuts sur le continent restent encore relativement timides.

Car cette céréale est une nouvelle venue, qui suscite de nombreuses interrogations. Sa forme, démesurée, intrigue, tout comme ses grains dont la couleur varie, parfois même au sein d'un même épi. Elle ne rentre pas dans les classifications traditionnelles des plantes connues en Europe et, son origine reste floue pour beaucoup. Elle est appelée « blé d'Inde », parfois « blé de Turquie » (« turc » désignant alors ce qui a une origine extérieure).

Une arme contre les disettes

La plante est donc discrète, sa culture prend d'ailleurs place dans les jardins, à l'abri des regards. Mais la donne va progressivement changer. Le maïs a en effet des qualités qui vont, peu à peu, lui permettre de s'imposer. C'est une céréale qui pousse vite et qui offre d'impressionnants rendements. Les paysans du Sud de l'Espagne le comprennent et font progressivement passer le maïs des jardins aux champs. Il progresse dans le Sud de l'Europe, souvent cultivé sur des terres pauvres. L'arrivée sur le continent d'une autre souche, d'origine nord-américaine, ramenée par Jacques Cartier dans le courant du XVIe siècle, favorise également l'expansion de la culture plus au Nord du continent.

Là où elle est plantée, elle devient au fil des ans une arme de premier plan contre les disettes. Comme le résume souvent la géographe Sylvie Brunel, le maïs était pour les Améridiens la « plante des dieux », il devient en Europe dans le courant du XVIIe siècle « la plante des gueux », précieux allié lors des crises alimentaires. La plante va même devenir un point d'appui au développement démographique de l'Europe.

Polenta et mamaliga

Cette Europe, justement, est progressivement conquise. Après s'être imposé dès le XVIe siècle dans certaines régions d'Espagne, du Portugal ou en Vénétie, le maïs s'implante en France (dans le Sud-Ouest), en Italie ou dans les Balkans. Et dans ces terres, la prudence initiale cède la place à une adhésion massive (parfois en association avec le haricot, autre découverte américaine), portée par les atouts de la plante. Une culture qui est également encouragée par les interventions de la puissance étatique. C'est le cas notamment en France, où les autorités s'appuient sur les travaux d'Antoine Parmentier.

Assiette de Millas

Pour preuve de cette « intégration », le maïs prend place dans les habitudes des sociétés paysannes. Sa culture rythme à présent la vie des campagnes, par exemple dans le Lauragais. Surtout, il devient dans certaines régions la base de l'alimentation : c'est autour de sa farine que sont constituées nombre de bouillies paysannes (gaude de Bresse...). En Italie, la polenta devient un plat incontournable, en Roumanie, il en va de même pour la mamaliga (bouillie à partir de farine de maïs). Même chose en alimentation animale : en Bresse, il est au cœur du développement de la production de volailles.

La plante venue d'ailleurs est donc à présent un marqueur alimentaire, identitaire même, de nombreuses régions du Vieux continent. Le maïs est désormais une plante européenne.
 

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