David d'Equainville est allé à la rencontre de Jacques Genin, chef pâtissier et génie du chocolat, qui nous emmène au coeur des origines de sa passion et de son savoir-faire. Et tout a commencé, enfant, par le goût du pain, des belles boulangeries et des religieuses dans la vitrine...

Jacques Génin est fondeur en chocolat comme il aime qualifier son activité de chocolatier. Il est aussi autodidacte, un professionnel né de l'apprentissage sur le terrain, démarré en province à l'âge de 13 ans, dans un atelier de boucher. Mais ce n'est pas tout, il est également chef cuisinier, vosgien, amateur de vins et de bonnes tables, chef pâtissier, goutteur de whisky, auditeur de jazz, épicurien généreux prêt à faire circuler les recettes de son laboratoire parisien de la rue de Turenne, où il est installé depuis 2008.

Jacques Génin est un homme attachant que l'on peut croiser dans les jardins du musée Rodin qu'il affectionne pour ses révolutionnaires sculptures. C'est une personnalité gastronome et un fournisseur recherché de pâtes de fruits, chocolats, caramels et autres friandises de nombreux restaurants et grands hôtels, tous réunis par la même profession de foi, faire vivre l'excellence. Car c'est un homme qui ne se lasse jamais d'expérimenter de nouveaux territoires gustatifs, d'inventer des pâtes de fruits aux légumes ou de monter des mille-feuilles aux allures de bonbonnières aériennes. Il aime poser de nouvelles exigences afin de continuer à dire je t'aime à ses contemporains. Je n'ai pas fini de faire le tour de cette magie, dit-il en parlant de son métier.

En quoi les sculptures de Rodin vous fascinent-elles, pour que vous ne vous lassiez pas de les visiter et de citer cet exemple ?
J'ai toujours été frappé par le travail artisanal, ce que coûte à un homme l'acquisition d'un tour de main, l'attention qu'il doit porter à son métier, quel qu'il soit, pour en maîtriser les connaissances et les gestes, et les mettre au service d'une idée, d'un projet. J'ai un grand respect pour ce genre de choses, d'autant plus lorsqu'il s'agit d'un artiste de la force de Rodin qui travaillait directement la matière sans passer par aucune phase de dessins préparatoires. En disant cela, j'ai bien conscience que mes propos pourraient être compris comme une tarte à la crème, une sorte de lieu commun sur le travail artisanal ou les activités manuelles, artificiellement reliées par mes soins à une inspiration artistique, une forme de génie de la matière à la portée des métiers de bouche, mais ce n'est pas grave, j'en prends le risque. Après tout, quoi de plus normal que de défendre la crème et ses tartes quand on est passé par un certain nombre de métiers de la restauration, chef pâtissier de la Maison du Chocolat par exemple, et que l'on est devenu pâtissier chef de son propre établissement. Il ne manquerait plus que je m'effraie de prendre des risques avec les produits qui me passionnent.

Mon métier est de rêver les goûts assez fort pour les fabriquer. Le travail que j'exerce n'est pas une monotone ritournelle, je dois le faire vivre avec plaisir, le confronter aux ingrédients et à leurs qualités. Si je choisis une farine, puisque l'on parle de crème, je dois sélectionner la mouture la plus appropriée à mon projet, soupeser l'influence du poids des cendres sur l'effet obtenu. En bouche, la minéralité peut devenir mon alliée. Il n'y a pas de règles qui, à la longue, ne se transgressent pas, du moment que vous ne trahissez pas les ingrédients, l'unique principe inamovible. En fait, ce qu'il faut savoir préserver, c'est une capacité à mener des expériences, mais des expériences auxquelles vous croyez. Elles maintiennent vivant.

Que représente pour vous la cuisine aujourd'hui ?
Elle m'a appris l'échange, le partage, et m'a toujours rendu ce que je lui avais donné. Le temps que je lui ai consacré m'a d'ailleurs considérablement aidé à grandir, à me hisser à la hauteur des produits que j'ai travaillés, et à choisir ceux avec lesquels je souhaitais poursuivre ma route, aujourd'hui de fondeur en chocolat. Car avec la cuisine il n'y a pas de triche possible. Jamais. Les produits ne vous laissent pas le choix. Ils ne vous pardonnent pas la moindre erreur. Pour les apprivoiser, il est indispensable d'en connaître tous les aspects, en les pratiquant encore et encore. Si je prends l'exemple du whisky, dont je suis un amateur, je connais évidemment les ingrédients pour le fabriquer, l'importance de l'eau, de l'orge et des techniques de maltage, du temps de maturation dans les fûts de chêne. Mais ce sont des informations lointaines. Je ne les ai pas éprouvées de l'intérieur. C'est seulement en tant que cuisinier que je réalise pourquoi cette recette d'eau-de-vie si fameuse ne tient qu'à la connaissance et au respect par le distillateur des spécificités des ingrédients de base. En cuisine, les logiques à l'œuvre sont les mêmes. Il est réjouissant de constater que c'est toujours un métier qui combine le fruit d'autres efforts, ceux des agriculteurs, des meuniers, etc., au gré du savoir-faire d'hommes soucieux de donner du plaisir à leurs contemporains. Oui, pour moi, la pratique de la cuisine est révélatrice de nos capacités à vivre ensemble, à faire table commune. Une noble ambition et une école exigeante qui requiert le sens des détails. Du choix des ingrédients au produit fini, rien n'est à négliger. Vous souhaitez partir tôt alors qu'un cheese-cake n'a pas fini de refroidir ? Impossible, si vous souhaitez satisfaire votre client. Vous risquez de brusquer la préparation et d'abîmer le produit et tous les efforts réalisés pour le concevoir, le fabriquer et le cuire. Autant dire tout gâcher, ce qui est impensable si vous aimez ce que vous faites.

Comment devient-on cuisinier, pâtissier puis fondeur en chocolat ?
C'est une longue histoire, construite autour de rencontres et défis relevés avec un mélange aléatoire de bon sens et d'instinct. Il y a quelques images, le souvenir d'un jeune garçon qui aime le pain, qui se souviendra plus tard que le pain, et bien c'est bon ! Il y a aussi de la buée sur la vitre de la boulangerie, l'hiver, les religieuses dans la vitrine, l'envie de savoir comment on les fabrique, avec quels ingrédients, quelles recettes ? Mais comme le disait un écrivain découvert quand j'étais plus jeune, Hermann Hesse, lorsque je m'initiais en autodidacte à la culture sous toutes ses formes, les choses se déforment facilement quand on regarde en arrière. En revanche, ce qui est resté intact, hier comme aujourd'hui, qui me donne toujours de la fierté et de l'énergie, c'est de pratiquer un métier où la générosité est un atout.