David d’Equainville est allé à la rencontre de Fabrice Du Welz, récemment nommé pour le Magritte du meilleur réalisateur pour son film Alléluia.  Amateur de pain et du 'bien manger', il voit un lien entre les métiers de bouche et du cinéma qui mêlent rigueur et intuition.

Comme son père pratiquait la restauration à Bruxelles, avec le goût du bel ouvrage, Fabrice Du Welz a fait du cinéma un métier et de ce métier une passion, qu’il exerça à ses débuts en autodidacte avec une caméra Super 8, après un cycle d’études qui le mena des planches de la comédie à celle de la réalisation, avant de compléter sa formation en aiguisant son sens de l’humour avec l’écriture de séquences pour les deux émissions cultes de l’esprit Canal, La Grande Famille et Nulle Part Ailleurs.

Il n’était pas encore le jeune réalisateur prometteur remportant le Grand prix du festival de Gérardmer pour son court-métrage, Quand on est amoureux, c'est merveilleux, ni celui du premier long métrage, Calvaire, sélectionné en 2005 à la Semaine de la critique du festival de Cannes, ni encore le metteur en scène de la libre adaptation, Alléluia, sélectionnée à nouveau en 2014 à la Quinzaine des réalisateurs, toujours à Cannes, film adapté d’un fait divers déjà mis en image en 1970 par le film Les Tueurs De La Lune de Miel. Il n’était pas encore tout cela mais il pouvait déjà dire qu’il existait un point commun entre les nourritures terrestres et ses appétits culturels car, dans les deux cas, que ce soit dans une cuisine ou sur un plateau de tournage, rien de bon ne peut pousser sans la qualité des ingrédients, la patience et la détermination des hommes à la manœuvre.

Peut-on défendre l’hypothèse d’une alimentation nourrissant votre métier de réalisateur ?
Oui, je crois, d’ailleurs l’hypothèse fonctionne dans les deux sens. Si je parle de mon métier, je sais pertinemment qu’un tournage se passera beaucoup mieux si la cantine est à la hauteur de ce travail où, durant une courte période, une poignée de semaines, toute une équipe se donnera à fond. Un détail peut-être, qui ne semble pas en relation avec le cinéma, mais l’expérience m’a convaincu qu’il faut en tenir compte, au risque de desservir le film en préparation et de perdre beaucoup de temps. La cuisine a de réelles vertus structurantes. Elle soude les efforts d’un groupe. La cantine doit donc être irréprochable, une vraie pause conviviale, avec de bons produits, ce qui n’est pas toujours le cas. Alors qu’il suffit d’un peu d’attention pour faire des choses simples, réussies, sans forcément dépenser des fortunes, comme des croques Monsieur par exemple.

Inversement, c’est à l’occasion d’un tournage que j’ai découvert sur un plan plus personnel l’incroyable cuisine thaïlandaise, la richesse de ses saveurs, l’odeur de la coriandre fraîche, la délicatesse des potages aux nouilles et au curry, la variété des goûts. Je n’imaginais pas ce que l’on pouvait faire simplement avec du riz, notamment les délicieuses boulettes cuites enrobées dans une feuille de bananier, et je ne parle pas de tous les autres riz, gluants et parfumés, aux odeurs invraisemblables. Aujourd’hui encore, je suis toujours fasciné par cette cuisine. À Los Angeles, où je séjourne régulièrement pour le travail, je ne manque jamais de repérer là où les plats se préoccupent de leurs ingrédients. On peut dire que le cinéma m’a ainsi donné l’opportunité de vivre une révolution culinaire, comparable à l’effet d’un film réussi qui bouscule amicalement le spectateur pour l’emmener à la découverte d’autres points de vue que les siens.

Pourriez-vous vous qualifier de cinéaste gourmet ?
Non, je n’ai rien à voir avec un Chabrol dont la rumeur déclarait qu’il choisissait ses lieux de tournage en fonction des restaurants locaux et de ses terroirs. J’aime cuisiner, pour la famille, les amis, aller faire les courses au marché, dénicher les bons produits, sans être un véritable gastronome. En revanche, je souscris bien volontiers au principe défendu par Hippocrate, me semble-t-il, que nous sommes ce que l’on mange (la citation est que ta nourriture soit ta médecine, et ta médecine, ta nourriture, Ndlr). Peut-être est-ce une croyance due au plaisir que j’avais à regarder la cuisine se faire en étant enfant, une habitude que j’ai gardée avec les restaurants que je connais bien, où il m’arrive de rejoindre la cuisine pour voir ce qu’il s’y passe, ouvrir les réserves, regarder les matières premières, comprendre la mécanique à l’origine de nos plaisirs.

Je reste persuadé qu’il existe un lien entre les métiers de bouche et ceux de la réalisation cinématographique. Fondamentalement, ce sont des métiers qui requièrent un mélange de rigueur et d’intuition, et sollicitent les sens, le désir, de voir ou de manger, différentes formes de découverte. Et, d’une certaine façon, le fonctionnement d’un plateau de tournage est similaire à celui d’une cuisine de restaurant, une organisation de fer est indispensable à la prise de risques, le moment où le cuisinier fait prendre à la recette et aux produits la forme désirée. Aux États-Unis, le chef formé en France, Dan Barber, l’a parfaitement compris lorsqu’il crée un risotto original à base de millet, d’orge, de sarrasin et d'avoine. Il suit avec application, des graines brutes à l’assiette finale, son idée du plaisir à table. J’aime ce principe de surprise.

Votre prochain film servira-t-il un plat en particulier ?
Un plat froid comme la vengeance, car Le message du roi sera un thriller, avec Chadwick Boseman (qui incarnera aussi cette année le super héros Black Panther de l’univers de Marvel, Ndlr) venu venger sa sœur perdue dans un Los Angeles interlope. Luke Evans et Teresa Palmer complètent le casting.

Quel serait votre dessert préféré si vous deviez en avoir un ?
Je ne suis pas très dessert ou il faut que la tarte soit vraiment très bonne, alors je la finis volontiers. Je garde aussi d’excellents souvenirs de mes goûters d’enfant. D’ailleurs, j’adore le pain, je pourrais en manger toute la journée.

 

Crédit photo : Damien Grandjean