Bien souvent, cuisinière, cuisinier, et tous les métiers de bouche en appellent, quand ils décrivent une recette, au secret. Secret d’un ingrédient, d’un tour de main que possèdent comme un trésor les détenteurs de la recette. Faire appel à un secret pour de la nourriture alimente toute une part d’imaginaire faite de magie, voire d’un peu de sorcellerie.

Pourtant, partager un plat demande de la confiance, de l’estime de l’autre, pour être consommé. Cette notion de secret induit l’acceptation de l’inconnu où celui qui reçoit, qui achète et qui consomme fait implicitement confiance à celui qui produit. Pourtant, quelle est cette part d’inconnu, ajoutée à la recette qui est censée la rendre meilleure, unique, voire douée d’effets particuliers. Car ce sont bien les mages, magiciens, magiciennes, sorciers et sorcières qui usent de recettes pour réaliser potions, onguents et gâteaux magiques comme le gâteau d’amour de Peau d’âne. Car les gâteaux, pains et toutes les préparations à base de céréales et/ou de farine sont encore plus sujets à secret. Faire lever une pâte, pour l’alvéoler et la rendre plus légère, aérienne et plus digestible, nécessite une fermentation, expression même de la maîtrise d’un secret.

En feuilletant les fiches des savoir-faire de « l’Inventaire du Patrimoine Culinaire de France » édité par le CNAC et Albin Michel, presque à chaque page nous est caché un secret. Comme dans cette fiche consacrée aux macarons de Saint Jean de Luz ou l’on nous explique que « la maison Adam tient son savoir-faire rigoureusement secret...». Car si une recette ne peut être déposée comme une marque, la seule solution pour en rester « propriétaire » est de faire appel au secret, ne rien dire et envelopper le produit d’une part cachée.

Mais le secret est bien souvent de polichinelle car un bon technicien, à force d’essais, arrivera toujours à décrypter et réaliser n’importe quelle recette. Et c’est en cela que cette notion de secret en cuisine relève d’un accord symbolique entre celui qui produit et celui qui mange. Celui qui mange trouve bon ce que réalise le producteur et est prêt à accepter qu’il parle à mots couverts et cachés de ce qu’il sert car il y trouverait moins de goût s’il en connaissait tous les détails. Annoncer dans une recette qu’il y a un secret permet de rechercher et de goûter encore plus la réalisation. En effet le mangeur pourrait s’écrier « Vous êtes magique monsieur le boulanger, vous maîtrisez tellement bien votre science que je ne peux que revenir chez vous pour déguster vos produits ! ».

Peu importe qu’il y ait réellement un secret, le fait de savoir qu’il existe fait pénétrer dans l’intimité de ceux qui connaissent et qui partagent un savoir.