Jadis réservées aux riches familles occidentales, les boissons à base de thé, de café, et de chocolat sucré se sont généralisées jusqu’à codifier le premier repas de la journée. En associant ressources exotiques et produits céréaliers locaux, le petit déjeuner est devenu un pilier de notre modèle alimentaire et un acte symbolique qui réunit les cinq continents sur la table.

 

De la bouillie originelle aux boissons exotiques

Dans les temps anciens – qui remontent au Néolithique – les céréales étaient consommées sous forme de bouillies. Cet usage a longtemps persisté, à tel point qu’au 18e siècle les repas étaient encore principalement constitués de soupes accompagnées de pain. Le modèle alimentaire était alors basé exclusivement sur les ressources agricoles locales jusqu’à ce que l’arrivée de produits exotiques ne changent les habitudes. Signe particulier, ces plantes et graines venus des autres continents permettent de fabriquer des boissons savoureuses, désaltérantes et stimulantes. C’est ainsi que le monde occidental commence à intégrer dans son alimentation quotidienne le thé, le café et le chocolat, ainsi que le sucre qui permet d’édulcorer les boissons. Si ces produits ne sont accessibles, dans un premier temps, qu’à l’aristocratie et aux classes aisées, ils se démocratiseront progressivement à partir du 19e siècle.

À l’heure de la révolution industrielle, les populations urbaines en pleine expansion abandonnent la soupe matinale pour le thé ou le café sucrés, souvent additionnés de lait, qui stimulent et délivrent des calories pour débuter la journée de travail en usine. Le rituel du petit déjeuner tel que nous le pratiquons aujourd’hui commence à s’installer. Selon le géohistorien Christian Grataloup, auteur de l’ouvrage Le monde dans nos tasses : trois siècles de petit déjeuner (Armand Colin), le petit déjeuner a été « le dopant de la révolution industrielle » et le levier d’un système économique qui, des plantations du bout du monde aux fabriques occidentales, a contribué à « la construction géopolitique du monde moderne ».

 

Les produits céréaliers locaux consolident le modèle du petit déjeuner 

 

C’est aussi à cette époque qu’apparaissent les boulangeries en tant que commerce de proximité, afin de répondre à la demande des habitants des villes qui ne confectionnent plus leur pain eux-mêmes. Le pain, puis les brioches et viennoiseries, viennent naturellement s’intégrer au petit déjeuner. Avec l’arrivée de la pâte feuilletée, le croissant devient au 20e siècle l’emblème universel du petit déjeuner « à la française ». Mais la géographie ne s’arrête pas là... Autre aliment phare du matin, les céréales pour petit déjeuner sont apparues aux États-Unis pendant la Guerre de Sécession. À l’image des biscuits secs qui représentaient une solution pour les marins, les pétales de céréales séchés permettaient de ravitailler facilement les bataillons nordistes. Et, toujours selon le chercheur Christian Grataloup, c’est à partir de cette innovation que s’est développée l’industrie agroalimentaire mondiale...


Si les mueslis, corn flakes et autres graines soufflées aujourd’hui dégustés en France sont produits dans l’Hexagone, il faut ajouter à ce « rapatriement » le sucre qui, depuis plus d’un siècle, est principalement issu de la betterave sucrière cultivée en France. Reste que ce mélange d’aliments locaux et exotiques conserve toute sa dimension symbolique : tremper une tartine de pain, une biscotte, un biscuit sec ou un croissant dans un bol de thé ou de café est une manière de croquer le monde dans une même bouchée.