Quand la forme d’un gâteau devient essentielle pour celui qui le mange

Ce texte est extrait de la revue "Cérès, l’imaginaire des céréales #3", éditée par Menu Fretin.

"Il était une fois, une vieille dame qui décida de cuisiner un pain d’épices et de donner à son gâteau la forme d’un petit bonhomme." Ainsi commence la passionnante histoire de l’un des plus célèbres gâteaux de forme humaine. Le Petit Bonhomme en pain d’épices, star des Noëls anglais et américain, n’est pourtant pas le seul biscuit anthropomorphe au monde. La France est même peuplée de ses semblables, gâteaux et biscuits humanoïdes qui réjouissaient déjà les enfants et les adultes bien avant que le Gingerbread ne s’échappe par la fenêtre de la vieille dame qui venait de le cuisiner. Représentant des hommes, des vieillards ou des bébés (mais jamais de femmes !), parfois accompagnés de poules, de lapins ou de bétail, ces pâtisseries sont intimement liées à des fêtes et traditions locales.

Faisons leur connaissance : ils ont des noms qui font résonner les dialectes locaux et en disent long sur leurs régions d’origine. Les Mariottes, par exemple, petits gâteaux en pâte feuilletée que l’on offre dans la ville de Montbard, en Côte-d’Or, pour "la fête des cierges". Pendant des siècles, les petits bonshommes aidaient les amoureux en risquant leurs vies. La tradition, qui a survécu jusque dans les années 1930, voulait que les jeunes hommes et jeunes filles jettent les têtes des Mariottes dans le ruisseau ou la rivière en guise de cadeau pour les divinités qui y habitent. Si le cadeau était accepté, on pouvait espérer se marier dans l’année. 

 

  Représentant des hommes, des vieillards ou des bébés (mais jamais de femmes !), parfois accompagnés de poules, de lapins ou de bétail, ces pâtisseries sont intimement liées à des fêtes et traditions locales.

 

Les Gorgons de Rouen, qui se vendaient encore à la Foire Saint-Romain jusque dans les années 1850, participaient également au bonheur conjugal. Mais d’une autre manière, et qui leur a valu une interdiction de la police : celle-ci accusait les petits bonshommes d’atteinte aux moeurs. Les biscuits dont on ne peut pas, à cause de cette interdiction, dire maintenant de quelle pâte ils étaient faits, représentaient Gorgon, le géant mythique, dans une position évocatrice, prêt pour les ébats amoureux. Les jeunes filles qui achetaient ces gâteaux les mettaient dans leurs corsages. Cela devait garantir les performances sexuelles de leur futur mari. Les gâteaux n’existent plus, mais Gorgon et sa femme sont toujours présents dans la région rouennaise pendant les fêtes, sous forme de marionnettes géantes en carton. 

Les Naulets du Berry, en pâte sablée, qu’on appelle aussi les Guillaunés dans le Limousin ou en Touraine, se conduisent beaucoup mieux et n’ont pas de problème avec la police. Ils arrivent à table pendant la période de Noël et représentent un bébé emmailloté, à l’effigie de l’enfant Jésus. "On y discernait tête, corps, bras et jambes. Les yeux étaient représentés par deux pois noirs, le nez par un pois blanc ; la bouche par des pois juxtaposés ou par un vide. (…) Les ménagères expertes en préparaient un gros pour la maisonnée et des petits pour les enfants. (…)", rapporte le livre Le Bon manger et le bon boire en Berry, les notes d’un habitant du Bas-Berry datant de 1928. 

La ville de Chartres possède elle aussi son bonhomme. Un petit être qui aime bien se faire inviter aux mariages. Les boulangers chartrains aiment l’associer aux fêtes de fin d’année,  mais son nom – le Cochelin – renvoie au gâteau et à la bourse d’argent qu’on offre aux jeunes mariés. La pâte feuilletée l’apparente aux Mariottes, mais contrairement à ses cousins de Bourgogne, le Cochelin, avec ses yeux en pépites de chocolat, est couvert de glaçage. Il peut également être fourré de pâte d’amande, de chocolat ou de confiture. En Normandie, les bonshommes de Noël s’appellent les Haguignettes. Ces personnages viennent souvent accompagnés de poules ou lapins (qui apparaissent de plus en plus sans leurs maîtres), comme s’ils confondaient Noël et Pâques. Et pourtant, le nom même d’« Haguignette » fait bien référence à la période hivernale. Il vient d’« O Ghel an Heu » qui signifie « que le blé lève ». Le souhait est devenu au fil du temps, « au gui l’an neuf ». Également faites de pâte feuilletée, les Haguignettes ne sont pourtant pas cuites dans un moule, contrairement au Cochelin, mais découpées à l’emporte-pièce. Dans le Pays de Caux, elles sont absentes à Noël mais servent comme cadeau à la Chandeleur. Dans d’autres parties de la Normandie, elles apparaissent sur les marchés le premier dimanche du Carême. 

 

  Le plus souvent, ce sont de petites brioches ou des gâteaux en pâte feuilletée qui portent le nom de Bonhomme de Saint-Nicolas.

 

L’Estevenou, ou Estève, dont le nom révèle la provenance occitane, est implanté dans la région de Montpellier. Alphonse Daudet, dans Port-Tarascon, décrit le Noël provençal avec des Estevenous parmi les fameux « 13 desserts ». "Hier soir, veille de Noël, toute la colonie se réunissait dans le grand salon, le Gouvernement, les dignitaires, et nous avons célébré notre belle fête provençale à cinq mille lieues de la patrie. (…) La princesse Likiriki était là, très amusée de la cérémonie, et des nougats, des coques, des Estévenous, et mille friandises locales dont l’ingénieux pâtissier Bouffartigue avait paré la table. On a chanté de vieux Noëls". Ces gâteaux, réalisés avec la même pâte que la couronne provençale de Noël, sont servis le 26 décembre, le jour de Saint-Étienne. 

Alsace, Lorraine et Franche-Comté, trois régions au carrefour de différentes traditions, offrent toute une population de figurines anthropomorphes. Le plus souvent, ce sont de petites brioches ou des gâteaux en pâte feuilletée qui portent le nom de Bonhomme de Saint-Nicolas. Ce personnage comestible, présent également en Allemagne et en Suisse, est préparé dans l’est de la France pour le jour du saint, le 6 décembre. Encore une tradition de fin d’année ? Certes, mais pas tout à fait celle de Noël, car l’apparence du Bonhomme de Saint-Nicolas n’a rien à voir avec la silhouette de l’enfant Jésus. Au contraire, c’est un vieillard avec les yeux en baies de genévrier, chaudement enveloppé d’une écharpe, coiffé d’un chapeau et souvent muni d’un bâton de pèlerin ou d’une pipe en sucre. Dans le Haut-Rhin et en Lorraine, on l’appelle également le manala. En Franche-Comté et en Loraine toujours, il apparaît sous le nom de Jean Bonhomme. Dans les Vosges il porte le nom de Coualé et à Strasbourg de mannele.

Enfin, le plus jeune de la fratrie des bonhommes comestibles est né à Valence et représente un garde suisse du Pape Pie VI. Le Pontife, après avoir été fait prisonnier par le général Bonaparte, s’est retrouvé en exil à Valence et a fini ses jours dans la ville qui garde toujours la mémoire de cet épisode historique. Réalisé en pâte sablée, avec des écorces d’orange, le Suisse de Valence porte fièrement le costume dessiné, dit-on, par Michel-Ange en personne. La copie en pâte de ses magnifiques habits est pleine de détails reproduits minutieusement : les boutons, les décorations sur le revers de la veste. Sous le chapeau du Suisse on voit bien son visage : les yeux en raisins secs, une fière moustache, le nez épaté et une grosse bouche. Sur les meilleurs exemplaires, on arrive même à lire l’expression : le Suisse est courageux, rassurant, un peu malicieux. " Jamais vous ne pourrez m’attraper !", semble-t-il nous dire. Tout comme son cousin américain. Cours, Bonhomme !

 

Crédit Photo Image principale de l'article : Michel Photographe