Cuiller anthropomorphe (détail)

Cet article est le 2nd épisode sur les 4 issus d'un parcours de visite au Musée du quai Branly - Jacques Chirac. Il permet, par le prisme de quatre grands thèmes, d'explorer les significations symboliques associées à la production céréalière dans les arts des Amériques, d’Afrique, d’Asie et d’Océanie.

Pour poursuivre notre visite thématique du musée du Quai Branly – Jacques Chirac, nous allons nous intéresser à la place des céréales dans le quotidien des différentes civilisations.

Au sud des Etats-Unis, en Arizona et au Nouveau-Mexique, les Hopis font partie du groupe amérindien Pueblos, voisins des Apaches, des Navajos, des Papagos, et des Zuñis. La culture du maïs bleu occupe une place centrale dans la société et la culture des Hopis, associée à celle d’autres variétés de maïs. Dans cette région très aride, ces variétés étaient adaptées à un sol pauvre et ne nécessitaient pas de fertilisation. Les chemins d'écoulement des eaux de pluie déterminaient l’emplacement des champs en permettant ainsi une irrigation naturelle. Le chef de clan hopi Don C. Talayesva décrit les conditions de culture du maïs dans son autobiographie Soleil hopi en 1959. Ce sont les femmes du clan qui sèment les grains de maïs selon le proverbe « deux grains pour les vers, deux pour les souris, deux pour les lapins, deux pour les corbeaux et deux pour toi ». Des danseurs masqués sortaient aux différentes étapes-clefs du cycle agraire. Ils représentaient les esprits katchina de la pluie, du ciel, des plantes, des animaux, esprits farceurs ou bienfaisants qu’ils priaient afin de garantir de bonnes récoltes. Lors de ces fêtes, des miniatures de ces danseurs masqués étaient offertes aux enfants et rapportées à la maison pour y être accrochées aux murs. Ces poupées servaient de moyen d'éducation sociale et religieuse, rappelant à chacun l'importance des esprits katchina.

Poupée katchina - Etats-Unis, culture Zuni, début XXè siècle (Inv. 71.1951.35.4)
© musée du quai Branly - Jacques Chirac, distr. RMN-Grand Palais / Michel Urtado / Thierry Ollivier

 

Dans cet objectif d'éducation des plus jeunes, l'existence de rituels d’initiation, souvent liés au calendrier agraire, transmettent les valeurs fondamentales d’une société, notamment en ce qui concerne sa subsistance. La culture de céréales comme le mil, le sorgho, le fonio, le maïs ou encore le riz sur le continent africain est à mettre en lien avec l'omniprésence des rites d'initiation dans de nombreux groupes sociaux en Afrique subsaharienne. Chez les Dans (qui vivent au Cameroun et en Côte d’Ivoire), parmi les événements incontournables marqueurs du temps au sein de la société, on compte les initiations des jeunes gens, les deuils, les plantations ou semailles et les récoltes. Ces fêtes nécessitant de grandes dépenses, en particulier pour l’organisation des repas collectifs, le calendrier agraire était souvent la base du calendrier rituel. Les femmes étaient chargées d'organiser ces festivités, cruciales pour la vie de la communauté. Les cuillers à riz anthropomorphes créées par cette ethnie, appelées Wakémia, sont des insignes de l’autorité acquise par les wunkirle (femmes hospitalières) en reconnaissance de leurs qualités de cuisinière et d’organisatrices de banquets.

Cuiller anthropomorphe wakemia - Côte d'Ivoire, culture Dan, XIXè siècle (Inv. 71.2003.3.8)
© musée du quai Branly - Jacques Chirac, distr. RMN-Grand Palais / Patrick Gries

 

Wa Ké Mia signifie « fête - agir - cuiller ». Lors de ces fêtes, les femmes jettent du riz afin de souhaiter la bienvenue. Ces cuillers sont des trophées convoités qui créent une véritable compétition entre les associations féminines. La sculpture de ces cuillers peut donner lieu à de véritables chefs-d'œuvre. Certaines sont des portraits : le sculpteur Tompiémé a ainsi donné à une cuiller anthropomorphe les traits de sa fille.

Ainsi, il existe en Afrique subsaharienne un lien symbolique fort entre rituel agraire, étapes de la vie et rites de passage. Ce lien est rendu visible et accessible aux jeunes enfants avec des poupées du Cameroun et du Sénégal, faites à partir d’épis de maïs décorés de verroteries et soigneusement ouvragées, afin d’enseigner aux plus petits la valeur des céréales.

Poupée - Cameroun, épis de maïs, perles, début du XXè siècle (Inv. 71.1934.171.790)
© musée du quai Branly - Jacques Chirac

Poupée, jouet pour les petites filles fait par les mères - Sénégal, épi de maïs égrainé, début du XXè siècle (Inv. 71.1962.81.68)
© musée du quai Branly - Jacques Chirac

 

Autre exemple en Guinée, avec le masque d’épaule Nimba, objet monumental qui était sorti spécialement à la fin de la saison des pluies pour présider les rituels ouvrant la période de récolte du riz.

Masque d'épaule Nimba - Guinée, culture Baga, fin du XIXè siècle - début du XXè siècle (Inv. 71.1933.40.11.1)
© musée du quai Branly - Jacques Chirac, distr. RMN-Grand Palais / Claude Germain

 

Complètement caché par les fibres formant un costume sous le masque, le porteur voyait à travers deux trous ménagés entre les seins. Image de l'idéal féminin, il est lié à la notion de fertilité. Lors de ses sorties dans un contexte agricole, le masque était approché par les femmes rencontrant des difficultés à concevoir des enfants et les femmes enceintes, afin de garantir le cycle de la vie grâce aux vertus magiques du masque.

En Asie la culture des céréales et le cycle de la vie humaine sont également très liés, comme le montre le Tambour de bronze de Java (IVe siècle av. JC – IIe siècle ap. JC), destiné à appeler la pluie à arroser les plants de riz.

Tambour de bronze - Indonésie (île de Java), IVèsiècle av. JC - IIè siècle ap. JC (Inv. 70.2001.27.579)
© musée du quai Branly - Jacques Chirac, distr. RMN-Grand Palais / Patrick Gries

 

Il était également utilisé en d’autres circonstances, par exemple lors des funérailles aristocratiques. Fabriqué il y a environ 2 000 ans, cet objet rappelle l’ancienneté et la pérennité de ces rituels destinés à s’attirer les bonnes grâces des divinités accompagnant la riziculture, ce type de tambour est en effet encore en usage de nos jours, notamment au Vietnam. De la même façon, en Thaïlande, la tradition des masques de génies du sol, protégeant les racines dans les rizières, perdure. La fabrication de ces masques représentant des figures effrayantes se transmet encore de génération en génération et donne lieu à des compétitions, comme le montrent les exemples contemporains présentés dans les collections du musée.

Masques de génie du sol - Thaïlande, 2008 (Inv. 70.2013.35.1.1-2)
© musée du quai Branly - Jacques Chirac, distr. RMN-Grand Palais / Claude Germain

 

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