L’imaginaire collectif et gourmand associe spontanément le delta camarguais au riz et au taureau de combat. Mais si la présence des taureaux en Camargue est attestée depuis l’Antiquité, la culture du riz y est cependant beaucoup plus récente.

« S’il n’y avait pas eu de riz en Camargue, la région serait aujourd’hui un désert salé ! » affirme Robert Bon, le conservateur du musée du Riz, installé à quelques kilomètres d’Arles. Lorsqu’en 1870, Napoléon III endigue les deux bras du Rhône, le delta camarguais se fragilise. Avec le mistral et les fortes chaleurs, la région subit en effet deux fois plus d’évaporation que de précipitations. Par capillarité, le sel remonte alors à la surface, transformant, en moins de trente ans, la Camargue en marais salant. « En 1900, les quelques courageux restés sur place ont eu l’idée d’utiliser les mêmes techniques qu’aux abords du Mississippi, du Mékong ou du Nil : mettre en place une culture qui résiste au sel et qui apporte énormément d’eau douce. » La riziculture fut donc, au début du xxe siècle, une simple méthode de dessalage du sol : le riz récolté n’était alors destiné qu’à nourrir le bétail. « Nous n’avions pas la culture culinaire liée à ce produit » constate Robert Bon. L’essor débute dans les années 1940 : « Lorsque le gouvernement de Vichy se rend compte que la France manque de bras, il fait venir 20 000 travailleurs d’Indochine. Le groupement le plus important s’installe non loin de là, à Sorgues. Ces Indochinois, qui possédaient les meilleures connaissances techniques en matière de riziculture, n’avaient qu’une envie : faire du riz alimentaire. Et l’on s’est aperçu que le riz bien cultivé, repiqué traditionnellement, sur ce type de terroir, développait un goût fabuleux ! » À partir des années 1950, c’est l’explosion : le riz devient l’or de la Camargue. « À l’époque, 1 kg de riz valait un sac de ciment de 50 kg ! » rapporte Robert Bon. Long et dur, le riz américain, dont un célèbre slogan publicitaire assure qu’il « ne colle jamais », vient ensuite faire de l’ombre à Oryza sativa japonica, la variété cultivée dans le bassin méditerranéen. Ce riz rond, riche en amidon, a tendance à coller lorsqu’on le cuit à l’eau. « Les Turcs et les Grecs ont été les premiers à trouver la recette idéale pour ce type de riz : la cuisson pilaf. En faisant revenir le riz blanc dans l’huile pour le nacrer, on enveloppe les grains d’une couche de lipide. On retrouve ainsi la digestibilité du riz complet. » C’est d’ailleurs la méthode qu’utilise Armand Arnal pour cuire le riz rouge de Camargue, une variété sauvage spontanée, aujourd’hui cultivée en agriculture biologique. Bien enrobé d’huile d’olive, puis mouillé avec un bouillon de légumes, ce riz complet est ensuite cuit au four pendant 45 minutes avec une gousse d’ail et une branche de romarin. Le chef de La Chassagnette le sert à toutes les tables en accompagnement, à la manière d’une tranche de pain : « Le riz rouge, qui n’a pas subi de polissage, possède un goût de noisette, légèrement torréfié. » Pour les nouvelles récoltes, en septembre, il le fait cuire dans des feuilles de figuier, mêlé de figues fraîches, sèches et d’oignons rouges, à la manière des dolmas grecs : savoureux hommage à la culture méditerranéenne !