Les céréales et l’imaginaire se rencontrent aussi dans la musique. Et s’il est un produit céréalier dans lequel beaucoup de pianistes ont mordu, c’est bien La Tartine de Beurre.

Cette valse évoque le glissement d’une lame enduite de beurre sur du pain frais. Les touches blanches figurent la mie. Et la main droite du pianiste tient le rôle du couteau.

Ne la dit-on pas « Valse à un doigt » ? C’est tantôt l’ongle du médium qui glisse sur les touches en montant, tantôt l’ongle du pouce droit qui fait le mouvement inverse en descendant. Le geste se nomme le « glissando ». Naturel à la voix et au violon, cet art de se hisser souplement d’une note à l’autre est adapté ici pour le piano. C’est unique dans une œuvre pour clavier censée avoir été composée au XVIIIe siècle. Car il faudra attendre Liszt et Chopin au XIXe pour que le romantisme et le piano moderne s’emparent de cette technique.

La Tartine de Beurre est une pièce du répertoire enfantin. Pendant que la main gauche bat les trois temps de la mesure, la main droite n’a besoin que d’un seul doigt pour tartiner les octaves. Composée en do majeur, l’œuvre dispense le pianiste de dièses, de bémols et de touches noires. C’est frais et onctueux comme du beurre ; élastique, doux et blanc comme la mie offerte au couteau. Celle qu’on nomme « Das Butterbrot » à Salzbourg, porte-bien son nom. Mais qui le lui a donné ?

Méthode rose

Michel Faure, musicologue, essayiste et historien de la culture est formel. La Tartine de Beurre a été faussement attribuée à Mozart. « On ne sait pas de qui elle est. On se demande si elle n’est pas de son père Léopold qui se serait amusé à montrer à son fils qu’on peut adapter la technique du glissando au clavier. Il est aussi possible que La Tartine de Beurre ait été composée au XIXe siècle. Dans cette optique, il n’est pas étonnant que ce soit la Méthode rose de Van de Velde qui ait fait connaître ce faux Mozart à tous les pianistes des générations voisines de la mienne. »

Comme toutes les choses aussi délicieusement simples que de la farine qui coule entre les doigts, La Tartine de Beurre contient une part irréductible de mystère. Il en est ainsi d’une autre tartine sonore du non moins mystérieux Erik Satie : le deuxième mouvement des Peccadilles Importunes (1913)

Ces Peccadilles ont été composées elles-aussi pour les pianistes débutants. Comme La Tartine de Beurre, elles excluent l’usage des touches noires. Le deuxième mouvement s’intitule « Lui manger sa tartine ». Il est encadré par les sections « Etre jaloux de son camarade qui a une tête » et « Profiter de ce qu’il a des cors aux pieds pour lui prendre son cerceau ».

Ici, pas de glissando mais des notes piquées à la main droite, liées à la main gauche. La Tartine de Satie est pleine d’un humour solennel. Et même ses commentaires sont conçus pour que l’enfant apprenne le piano en s’amusant ! « Habituez-vous à voir une tartine sans la dérober », recommande Satie sur un ton faussement moralisateur avant de sauter du coq à l’âne, ou plutôt de la tartine au chien, en évoquant un animal de compagnie « qui en cachette me fumait tous mes cigares ».

A l’époque classique comme aux temps modernes, deux compositeurs ont donc associé la tartine à des mélodies conçues pour faire le délice des enfants. Du pain, du beurre, un couteau… Dans la vie aussi, Dame Tartine précède la découverte d’œuvres culinaires plus complexes à base ou non de céréales. Un prélude à toutes les gourmandises !