Nous arrivons au terme de cette promenade céréalière au Musée d'Orsay. Nous avons traversé de nombreux champs, de nombreux courants, mais peu vu de produits céréaliers. Ils apparaissent en effet de manière ponctuelle dans les œuvres du musée d’Orsay.

Toutefois, cette apparition, très liée aux sujets, n’est pas anodine. Le Déjeuner sur l’herbe, d’Edouard Manet (1863) fait scandale au Salon. Inspiré par l’héritage des maîtres anciens, notamment de Raphaël et du Titien, l’œuvre représente une femme nue au milieu d’un groupe d’hommes habillés, ce que la modernité du traitement rend obscène aux yeux des contemporains. L’artiste impose toutefois, tant par le sujet que par l’absence de respect des conventions artistiques, une nouvelle liberté. La miche de pain tombée du panier, au premier plan, rappelle que l’œuvre figure avant tout un repas champêtre. Là encore, le contraste s’établit entre la qualité des personnages, visiblement des bourgeois citadins, et l’objet de leur présence dans ce décor de sous-bois, à savoir une collation prise en pleine nature.
Cet instant de plaisir n’est pas sans rappeler la manière dont le pain est considéré dans les civilisations anciennes, la littérature et les arts picturaux. Ainsi, depuis l’Antiquité, le pain, symbole de vie, est associé à la sécurité et à la prospérité. Osiris était considéré comme le dieu ayant appris aux hommes à cultiver le blé, à faire de la farine et à préparer le pain, mets sacré chez les anciens Egyptiens.
Ovide raconte au 1er siècle avant notre ère que lorsque les Gaulois assiégèrent Rome, Jupiter conseilla aux habitants de jeter ce qu’ils avaient de plus précieux par-dessus les murs. Ils confectionnèrent alors du pain qu’ils lancèrent sur les assaillants, donnant ainsi l’illusion d’une ville abondamment approvisionnée et capable de tenir un long siège.
La symbolique du pain dans le christianisme est elle aussi révélatrice de la force placée dans cet aliment, marque de sacrifice généreux et revitalisant. Aussi, la présence du pain dans Le Déjeuner sur l’herbe en fait un sujet de partage, mais aussi un signe d’abondance qui caractérise la haute société française du Second Empire, classe dont l’avenir semble placé sous les auspices favorables de la providence.

Le Déjeuner sur l’herbe (1865-1866) de Claude Monet est, deux ans après le polémique tableau de Manet, un hommage et un défi lancé à l’artiste. Malheureusement inachevée et partiellement conservée, l’œuvre monumentale ne se veut pas scandaleuse et, au contraire, ne joue pas avec les codes moraux de son époque. Comme souvent chez Monet, le sujet est source d’un important travail sur la couleur et la lumière, cette dernière filtrant ici à travers le feuillage du sous-bois, et jouant sur les vêtements des élégantes participant au repas. Ici, le pain, toujours au premier plan, et la tourte, au centre, ne sont pas en pleine lumière. Cette nature morte composée devant les personnages n’est présente que pour indiquer la nature du sujet, un pique-nique en forêt. Elle souligne à nos yeux le contraste entre vie mondaine et simplicité des aliments, sans pourtant d’autre recherche chez Monet que celle de la perfection du rendu des ombres et des lumières.

 

Cet article est un épisode issus d'un parcours de visite au Musée d'Orsay, qui comprend une sélection d'œuvres pour découvrir les dimensions symboliques, sociales et artistiques incarnées par les céréales et les produits céréaliers dans les tableaux et sculptures, dans les médailles, le mobilier et les objets décoratifs des artistes du XIXe siècle.

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