Il s'en vend chaque année 2,3 milliards en France. Le sandwich ou casse-croûte est la star incontestée de nos pauses-déjeuner. Retour sur l'histoire d'une irrésistible ascension, où l'on croise un comte anglais amateur de jeu, des ouvriers de l'entre-deux-guerres et des chefs étoilés.

Au XVIIIe siècle, John Montagu était le 4e comte de Sandwich. La carrière de diplomate et d'amiral de ce britannique ne vous dit rien ? Rien de plus normal. En revanche, son nom vous est forcément familier. Car les sandwichs que vous consommez de temps à autre lors d'une pause déjeuner lui doivent beaucoup. Il est en effet le premier à avoir popularisé (involontairement!) ce mode de consommation pratique et rapide.
 
Nous sommes dans les années 1760 au Royaume Uni. Le 4e comte de Sandwich est alors ministre d'Etat. Il est aussi, rapporte la légende, un fervent amateur des tables de jeu. Au point d'y passer un temps considérable : jusqu'à 24 heures d'affilée, relate l'un de ses contemporains ! C'est lors d'une de ces parties prolongées qu'il décide, pour ne pas avoir à quitter la table, de se faire servir du bœuf grillé entre deux tranches de pain. Ingénieuse, l'idée a également l'immense avantage, pour un joueur, de ne pas lui salir les mains.
 
L'histoire sera par la suite contestée, certains affirmant que, c'est au contraire pour ne pas avoir à quitter son bureau, que le comte, grand travailleur, demanda un jour qu'on lui serve sa viande glissée entre deux tranches de pain.
 
Toujours est-il que l'innovation culinaire est rapidement connue de tout le royaume, prenant du même coup le nom de son inventeur. C'est ainsi que le sandwich devient la dernière mode dans les clubs et les salons de la haute société en Angleterre, puis, au XIXe siècle, aux Etats-Unis -c'est dans l'un de ces clubs que le fameux "club sandwich" vit d'ailleurs le jour.
 

Des sandwichs pendant l'Antiquité ?

A vrai dire, accompagner un aliment de tranches de pain et les manger simultanément n'était pas totalement une nouveauté. Si l'on remonte le fil de l'Histoire, on découvre que les Juifs célèbrent depuis de nombreux siècles la Pâque juive, Pessah, en mangeant "des pains sans levain et des herbes amères", comme le mentionne l'Ancien Testament.
 
De même, l'existence de "bread and meat" (pain et viande) ou de "bread and cheese" (pain et fromage) est attestée outre-Manche au XVIe siècle. Et l'usage du pain comme support aux aliments à consommer était courant au Moyen-Age, en France notamment.
 
La nouveauté, avec le comte de Sandwich, c'est l'ampleur de la diffusion de ce mode de consommation qui s'installe de manière durable dans le paysage culinaire. Un mode de consommation qui va d'ailleurs connaître une démocratisation massive au XXe siècle, favorisé en cela par l'industrialisation de la production de pains prétranchés aux États-Unis dès 1928. Dans les années 30 et 40, le sandwich s'impose parmi les travailleurs en pause-déjeuner.
 

Dans la besace du travailleur

Il rejoint ainsi un autre produit qui, en France, avait pris une longueur d'avance dans les milieux populaires : le casse-croûte. Dès la charnière des XIXe et XXe siècles, il était en effet consommé à la pause par les artisans et les ouvriers de l'agriculture et de l'industrie. Les tranches de pain sont accompagnées de fromage, de charcuterie, ou simplement de beurre.
 
Contrairement à son cousin anglo-saxon, ce "casse-croûte" sorti de la besace pour le déjeuner avait, dès le départ, une origine populaire, considéré comme le repas type du travailleur. Son nom vient d'un petit maillet qui, au début du XIXe siècle, servait à broyer les croûtes de pain pour permettre aux vieillards ou aux jeunes enfants de le consommer.
 
Durant les Trente Glorieuses, les deux noms vont cohabiter en France, mais l'anglo-saxon sandwich prendra progressivement l'ascendant, notamment auprès des jeunes générations. Dans l'imaginaire de ses contemporains, le sandwich continue, dans le même temps, son cheminement : nourriture d'une élite, puis en-cas des travailleurs, il va devenir dans les années 2000 et 2010 un mode d'alimentation "tendance".
 

Sandwich de luxe et casse-croûte vintage

Alors que la mode du snacking bat son plein, les recettes se renouvellent, les formes comme les types de pains (brioché, polaire, multicéréales...) se multiplient, les garnitures également. Les chefs étoilés proposent des sandwichs de luxe (au foie gras, au bœuf sauté...) tandis que certains fast-food revisitent un sandwich baptisé pour l'occasion "casse-croûte" -car l'appellation est devenue "vintage" et symbole du made in France.
 
Ce qui ne détourne pas pour autant les consommateurs des fondamentaux. Car les amateurs de sandwich et de casse-croûte ont leur star, toujours présente en tête des ventes : le jambon-beurre. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 2016, il s'en est vendu 1,2 milliard en France selon le cabinet Gira Conseil, sur un total de 2,35 milliards de sandwichs consommés.