Des produits comme la fraise et l’asperge trouvent une partie de leur goût dans l’attente. Très liées aux saisons, elles sont espérées. Nous parlons d’ailleurs des premières et des dernières, celles qui ouvrent la saison et que nous dégustons comme une promesse, celles qui la clôturent et que l’on mange en pensant au regret de ne plus pouvoir les croquer dans un mois.

Si cette saisonnalité est bien admise, bien comprise pour nombre de fruits et de légumes, elle semble moins évidente pour les autres produits. Pourtant, les sardines grasses et dodues sont estivales, les agneaux pascals, la buche de Noël et la galette des rois intimement liée à l’Epiphanie.

Comme les produits frais, certaines recettes à base de céréales sont en effet elles aussi des marqueurs de temps, inscrites dans ce que nommait Arnold Van Gennep, célèbre ethnographe de la France du milieu du XXe siècle, les fêtes calendaires. Nombre de gâteaux, de beignets, de brioches et toutes sortes de gourmandises permettent immanquablement de savoir à quel moment de l’année nous nous trouvons. Après un voyage interstellaire, un spationaute débarquant sur terre, et dégustant une galette des rois pourrait s’écrier : « Nous sommes le premier dimanche de janvier ! ». « Pas si sûr… » pourrait-on lui répondre aujourd’hui, car galette, brioche où pompe des rois, bugnes et merveilles, lebkuchen de Noël, crêpes de la chandeleur et brioches liées aux fêtes patronales étendent leur temps de disponibilité et de dégustation. Qui n’a pas vu une galette des rois le 21 décembre ou des bugnes dès le premier janvier ?

Pourtant ces produits à base de céréales, le plus souvent disponibles chez les boulangers ou parfois encore produites à la maison, ne sont pas seulement à vendre et à consommer mais bien une lecture du temps qui passe et se renouvelle d’année en année. Leur sens, leur imaginaire n’est pas que mangeable, il construit l’aspect cyclique du temps. La buche de Noël n’est pas qu’un gâteau, elle est aussi la représentation d’une pièce de bois, choisie, brulée la nuit de la nativité et symbolisant la lumière du jour qui va de nouveau croître après le 21 décembre.

Le bescouin de la vallée de l’Arve en Haute-Savoie, brioche-pain-au-lait, parfumé d’anis et de safran et offert par les parrains à leur filleul le jour des fêtes patronales de chaque paroisse, symbolise un enfant langé, au goût de graines et d’épices de paradis. Le filleul ou la filleule consomme ainsi symboliquement sa propre représentation pour pouvoir grandir et se détacher de l’enfance.

Les bugnes et merveilles, beignets de carnaval qui théoriquement s’étend du lendemain d’épiphanie au mardi gras, représentent une nourriture grasse en opposition au maigre du jeûne du carême qui débute le mercredi des cendres.

La valeur de ces productions boulangères, liées aux saisons, n’est donc pas que dans leur recette et leur goût mais bien aussi dans l’imaginaire et l’attente qu’elles suscitent. Dans un monde contemporain, déritualisé, raconter les liens à l’imaginaire et la période de consommation de tel ou tel produit devient une force, une richesse nourrissant le savoir-faire technique de ceux qui le fabriquent. Savoir pourquoi la fève est présente dans la galette, connaître pourquoi dans telle ou telle région ce sont des couronnes aux fruits confits qui sont fabriquées et consommées pour l’Épiphanie devient une richesse, une plus-value de sens pour celui qui vend. La valeur d’une préparation boulangère ne réside pas seulement dans son goût, primordial, ni dans sa seule recette, parfois romantiquement dite secrète, mais aussi dans sa valeur symbolique, moteur d’histoires et de découvertes, lui donnant un parfum différent.

Cette valeur apparaît surtout en replaçant chaque production dans son histoire et en évitant les légendes. Profiter des «gâteaux» des rois, dans leur diversité régionale, la semaine encadrant le premier dimanche de janvier, pour l’Epiphanie devient d’une impérieuse obligation gourmande !