Les siècles  passent et le pain est toujours présent dans les pages de nos livres. Avec la même mission, celle de sauver de la faim.

"Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger", disait Valère à Harpagon dans L’Avare de Molière.  Et pourtant, la littérature française ne suit que rarement ce dicton. Ses pages sont au contraire remplies de scènes de festins. De Pantagruel, fils du géant Gargantua, qui tète la vache en guise de biberon dans le livre de Rabelais, jusqu’aux bouillies paysannes chez Zola, nous ne perdons pas une miette des grandes tablées de nos personnages préférés.

 

Les miettes, justement. La place des céréales dans les repas nés sous la plume des écrivains est importante. Le pain,  tout d'abord. Son pouvoir d'évocation est encore plus fort que celui des mets les plus raffinés. François Rabelais parle de "belles fouaces", pour lesquelles se sont battus vignerons et boulangers. Pour François Villon, "le pain noir" ou la petite miche représentent  tout un repas. Mais déjà Le père Goriot de Balzac a de la chance de manger du bon pain blanc :

 

"Est-ce que vous ne trouvez pas le pain bon ? Demande madame Vauquer.
— Au contraire, madame, répondit-il, il est fait avec de la farine d’Etampes, première qualité.   
— A quoi voyez-vous cela? lui dit Eugène.  
— A la blancheur, au goût."   

 

Les siècles  passent et le pain est toujours présent dans les pages de nos livres. Avec la même mission, celle de sauver de la faim :

 

"Ce n'était rien qu'un peu de pain
Mais il m'avait chauffé le corps
Et dans mon âme il brûle encore
A la manière d'un grand festin"
, déclamait Georges Brassens dans sa Chanson pour l'Auvergnat.

 

Mais d'autres gourmandises faites de belle farine apparaissent également dans les récits des écrivains français.  Car non seulement les personnages littéraires mangent, mais ils cuisinent aussi avec enthousiasme. Dans Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand, le pâtissier Cyprien Ragueneau prépare des tartelettes amandines en commentant chaque étape avec une exactitude digne des meilleurs livres de cuisine.  Avec Guy de Maupassant, la pâtisserie devient même tout un art, et dans Le Gâteau, poètes, peintres et romanciers se pressent pour découper la brioche de Madame Anserre.

Petit à petit, les viennoiseries et les gâteaux sont devenus plus sophistiqués. Et les livres sont restés fidèles à cette évolution de la pâtisserie. Les pâtissiers professionnels sont même rentrés dans les grands classiques de la littérature.

 

"On avait été chercher un pâtissier à Yvetot, pour les tourtes et les nougats. Comme il débutait dans le pays, il avait soigné les choses et il apporta lui même, au dessert, une pièce montée qui fit pousser des cris. A la base d'abord, c'était un carré de carton bleu figurant un temple, avec portiques, colonnades et statuettes de stuc tout autour, dans des niches constellées d'étoiles en papier doré ; puis se tenait au second étage, un donjon en gâteau de Savoie, entouré de menues fortifications en angéliques, amandes, raisins secs, quartiers d'orange, et enfin sur la plate-forme supérieure, qui était une prairie verte où il y avait des rochers avec des lacs de confitures et bateaux en écales de noisettes on voyait un petit Amour, se balançant à une escarpolette de chocolat, dont les deux poteaux étaient terminés par deux boutons de rose naturelle, en guise de boules, au sommet." C'est le repas de noces de Madame Bovary.

 

Cyprien Ragueneau était-il capable d'une telle magnificence ?

Mais que ce soit une miche de pain, que les mousquetaires d'Alexandre Dumas partagent au bastion Saint-Gervais sous les balles ennemies, ou les desserts préparés pour le roi par Vatel, et auxquels goûtent "dix ans après" les mêmes d'Artagnan et Porthos, les gâteaux savoureux, les tartes et les simples pâtes, ne nous laissent jamais indifférents. Enfants, déjà, à la lecture de Vipère au poing d'Hervé Bazin, nous voulions sauver Brasse-bouillon de sa mère Folcoche, qui le nourrit de pâtes à l’eau. Adultes, en nous plongeant dans les contes de Maupassant, nous pleurons d'injustice en voyants les passagers de la diligence déballer les provisions devant la Boule de Suif affamée et humiliée.

Et quand le livre se referme, il suffit d'en ouvrir un autre pour que l'arôme des festins littéraires revienne. Le mécanisme mystérieux qui lie la nourriture à la mémoire se déclenche. "Ce goût, c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (…) ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul."  La madeleine de Proust, petit gâteau dodu, mais plus célèbre denrée de la littérature gourmande, fait revivre au personnage les moments de son enfance. Tout comme chaque miette tombée de nos pages préférées nous fait revivre la nôtre.