Notre alimentation est sans aucun doute le reflet des changements et mouvements de notre société. Nous ne mangeons pas comme nos parents, ni même comme il y a dix ans. Nos envies et nos habitudes alimentaires, suivent tout à la fois les modes, les incitations du marketing et peut être bien plus qu’il n’y paraît l’intimité populaire de nos manières de vivre au quotidien.

Le couscous, parmi les plats préférés des Français
Ainsi lors de la dernière et habituelle enquête TNS-Sofres sur le plat préféré des français, le couscous se retrouve dans le tiercé de tête comme bien souvent. Même si cette enquête est réalisée à partir d’une liste de plats pré-établie, le couscous qui aurait semblé exotique il y a cinquante ans fait aujourd’hui partie de notre quotidien. Ce couscous plébiscité par les Français est sans doute devenu très différent de ceux produits et consommés au Maghreb, se familiarisant à notre culture, tout en gardant sa base céréalière, faite de semoule de blé dur plus ou moins fine, humidifiée et «roulée». Ce sont tout à la fois les Français d’Algérie rapatriés, et les personnes originaires du Maroc, d’Algérie et de Tunisie venues proposer leur force de travail dans l’industrie française, qui ont permis cette « naturalisation » du couscous. Les « pieds noirs » ont reconstruit leur semoulerie dans le midi de la France, permettant d’offrir la fameuse graine de couscous à tous. Quant aux travailleurs immigrés, certains ont ouvert des restaurants populaires où il était possible de déguster cette fameuse graine accompagnée de la traditionnelle marga, parfois qualifiée de royale. Imperceptiblement, la graine de couscous a bénéficié du droit du sol pour quitter la cuisine exotique et se fondre dans nos pratiques alimentaires. Aujourd’hui, la graine de couscous fait partie des produits céréaliers français au même titre que le riz ou la farine de blé tendre.

Il semble au travers de cet exemple que les habitudes alimentaires des populations dites immigrées nous offrent la possibilité de faire évoluer nos propres pratiques. La cuisine des céréales est particulièrement concernée car les exemples sont nombreux, au-delà du couscous.

Boulgour et autres produits céréaliers orientaux
Quand juste après la première guerre mondiale, pour fuir la Turquie, la famille Markarian, s’installe en France, comme toutes les familles arméniennes, elle fabrique à la maison du boulgour. Cette préparation est à l’époque totalement étrangère à notre cuisine et nécessite un savoir-faire précis où le blé dur est d’abord étuvé, séché puis concassé. Georges Markarian créera en 1936 la marque Markal, pour fournir ce fameux boulgour d’abord à sa communauté, puis aux personnes originaires du monde turco-syro-libanais avant de le voir s’installer sur les linéaires des grandes surfaces.

Pour rester dans l’univers du blé et de l’Orient, il est aussi possible aujourd’hui, grâce aux marques de commerce équitable, de trouver du maftoul, semoule de blé dur agglomérée originaire de Palestine. Sans oublier les feuilles de brick et la pâte à philo fabriquées en France, disponibles en grande surface et utilisées pour des préparations feuilletées comme les böreks, baklavas, bricks ou samoussas aux garnitures de plus en plus métissées.

Influences asiatiques
Il est aussi à noter l’importance d’une autre communauté, qui a ouvert depuis trente ans de nombreux restaurants et de nombreuses épiceries : les Français d’origine asiatique, plus précisément sino-vietnamienne. En nous faisant déguster des nouilles et des raviolis de blé tendre, ils nous ont apporté, eux aussi, la possibilité de métisser notre cuisine. Feuille de wonton, ravioli chinois, nouilles fraîches ou sèches faites à partir de farine de riz et/ou de blé tendre, se retrouvent même dans les restaurants les plus renommés de la gastronomie dite française.

Pour terminer ce rapide tour d’horizon des nouvelles préparations céréalières, d’origine immigrée et pour la plupart en voie de « naturalisation » dans notre quotidien alimentaire, nous pouvons aussi citer la kacha. Propre à la cuisine polonaise, ce gruau de sarrasin, aux grains plus ou moins mondé est en général utilisé en bouillie tout comme l’orge mondé.

Ce champ des possibles dans l’utilisation des céréales qui s’étend et se diversifie est certainement une manière d’enrichir notre alimentation. Comme si la mondialisation, en la replaçant dans notre quotidien, nous donnait le choix et l’opportunité de consommer mais aussi de produire et de transformer nos céréales en de nouvelles préparations.