Des pains du monde à la baguette parisienne
Aliment de base de nombreuses sociétés, le pain revêt différentes formes en fonction des pays et des cultures, des ressources céréalières et des techniques de panification locales. Le tour du monde et des civilisations en offre une longue liste : pita en Grèce, ciabatta en Italie, pumpernickel en Allemagne, bagel en Europe centrale, tortilla au Mexique, Naan en Inde, Matlouh au Maghreb... Si ces traditions subsistent, la montée en puissance du pain français sur la scène mondiale transcende les frontières alimentaires.
L’aventure commence dans la seconde moitié du XXe siècle. Les représentations véhiculées par le cinéma et l’explosion des flux touristiques venus du monde entier vers la France ont fait de la baguette de pain un attribut de la vie parisienne et, plus largement, de l’art de vivre à la française. La conjonction d’atouts imaginaires et gastronomiques a doté la boulangerie française d’un incontestable potentiel à l’exportation.
L’Amérique, premier Eldorado de la boulangerie française
Les États-Unis ont été la première terre d’accueil de boulangers hexagonaux en quête de nouveaux horizons. Arrivée à Los Angeles au début des années 1980, Josette Leblond fait figure de pionnière. Elle y a créé la Normandie Bakery, qui est devenue une « institution » locale. Dans plusieurs villes, des artisans boulangers ont écrit leur success-story sous des enseignes aux noms évocateurs : La Fournette à Chicago, La Madeleine à Dallas, Mademoiselle Louise à Houston, Le Marais à San Francisco.
Parallèlement, les franchises de boulangerie hexagonales ont contribué à la conquête de l’Amérique tout en se développant sur d’autres marchés. Par exemple, la maison Paul est désormais présente dans 48 pays sur les cinq continents où elle revendique l’ambition « d’apporter un petit bout de France tout autour du monde ». Vingt ans après avoir lancé son activité internationale au Japon, l’enseigne Éric Kayser compte aujourd’hui trente boutiques dans le monde entier. Plus récemment, le réseau Marie Blachère a pris pied en 2019 sur le marché américain où le concept est appelé à se développer à partir de New York.
L’émergence d’un « business model » venu d’Asie
En 2010 l’enseigne de distribution asiatique Big C, fraîchement reprise par un groupe français, expérimente sur un magasin de Haï Phong, au Vietnam, la mise en vente de baguettes de pain françaises, cuites sur place. Succès immédiat. En quelque semaines, le point de vente atteint le débit d’une baguette vendue toute les quatre secondes, et le concept essaime rapidement dans la région Vietnam-Thaïlande. (Source : Casino, Regards n°48, avril 2011) Loin d’être un cas isolé, cette initiative s’inscrivait dans un mouvement d’appropriation du modèle de la boulangerie occidentale.
Le concept Paris Baguette, lancé à Séoul en 1988, en offre un bon exemple. Cette entreprise coréenne a construit en quelques années la principale franchise mondiale du secteur de la boulangerie. Sous les enseignes Paris Baguette et Paris Croissant, elle compte 4 000 points de vente en Corée, en Chine, à Singapour, au Vietnam, aux USA... et même en France. Piochant dans le répertoire français, elle s’en distingue en popularisant de nouvelles pratiques de consommation qui associent café et boulangerie. Un modèle également développé par la chaîne Vie de France, créée au États-Unis dans les années 1970 et reprise en 1991 par un groupe japonais qui en a fait la première enseigne de boulangerie du pays.
Qui sont les nouveaux Champions du monde de la boulangerie mondiale ?
Autre signe révélateur, les boulangers et pâtissiers du monde entier s’imposent dans les concours professionnels. Ainsi, la Coupe du Monde la Boulangerie, organisée tous les quatre ans dans le cadre du salon Europain Paris, a vu les équipes nationales de Corée du Sud et de Taïwan devancer la France aux deux premières places de l’édition 2016... avant de céder le podium à la Chine, au Japon et au Danemark en 2020 !
Après avoir joué un rôle moteur dans la diffusion mondiale du pain et de la boulangerie « à la française », la France reste une référence incontournable, notamment en matière de formation professionnelle ou le système éducatif public et privé attire des élèves venus des quatre coins du globe. Mais elle partage désormais son influence avec des acteurs qui investissent de nouveaux territoires et redistribuent les cartes des pratiques de consommation. « En valorisant à grande échelle une approche industrielle de la boulangerie, ces acteurs participent à la diffusion de la référence française hors de ses territoires historiques, conclut l'organisme de recherche sur les pratiques alimentaires Food 2.0 Lab. C’est ainsi, qu’en quelques décennies, la boulangerie française est entrée dans les mœurs des populations asiatiques. » Et, sans doute, bien au-delà.